Auteur : Agence Science Presse - Catherine Crépeau
L’enquête de Vigilance OGM sur la présence de glyphosate, l’herbicide le plus vendu au monde, dans les urines de certains Québécois, a fait grand bruit à la fin du mois de juin. Mais attention aux interprétations hâtives, explique le Détecteur de rumeurs.
Le glyphosate, l'ingrédient actif du Roundup, est utilisé depuis le milieu des années 70, principalement dans les grandes cultures de maïs et de soja. Son utilisation est controversée: le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), une agence de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), a classé en 2015 le glyphosate comme génotoxique (peut endommager l’ADN) et « probablement cancérogène pour les humains ».
Toutefois, la plupart des agences nationales qui se sont penchées sur la question sont arrivées à des positions contraires. Parmi elles, l’Autorité européenne de sécurité des aliments, l’Agence américaine pour la protection de l’environnement (EPA) et l’Institut fédéral de l’évaluation des risques (BfR) allemand. Santé Canada a conclu en 2017 qu’il est peu probable que les produits contenant du glyphosate nuisent à la santé humaine. Une position confirmée en 2019.
En juin, le groupe de pression Vigilance OGM annonçait que du glyphosate avait été observé dans l’urine de 26 des 40 personnes qu'il avait analysée, dans des concentrations s’échelonnant de 0,091 à 3,423 microgrammes par litre (ug/L).
Une question d’interprétation
Outre le fait que « l’enquête » ne porte que sur 40 volontaires, qu’un seul échantillon par personne a été analysé et que la fiabilité des résultats peut être remise en question en raison du type de test choisi, c'est l’interprétation des résultats qui porte à confusion.
La première chose à savoir est qu’un test positif au glyphosate n'implique pas nécessairement une exposition dangereuse.
Pour Vigilance OGM, les taux de glyphosate détectés sont inquiétants puisque 24 des 26 résultats positifs dépassent la limite autorisée dans l’eau potable en Europe (0,1μg/L). Toutefois, au Canada, la concentration maximale acceptable (CMA) dans l'eau potable est plutôt de 0,28 mg/L (ou 280 µg/L). Cette différence explique sans doute pourquoi, pour plusieurs experts, les taux détectés par Vigilance OGM sont acceptables puisque sous la dose de référence chronique, soit le degré d’exposition journalier sans effet nuisible, sur une période de 70 ans. Cette dose est fixée à 1 mg par kilogramme de poids corporel par l’OMS et à 1,75 mg par l’Agence américaine de protection de l'environnement (EPA). Ainsi, une personne qui pèse 60 kg pourrait, en théorie, consommer jusqu’à 105 mg de glyphosate quotidiennement, toute sa vie, sans affecter sa santé.
Qui croire? Si on veut être rigoureux : personne. Ces seuils permettent des comparaisons, mais pas de véritable interprétation puisqu’aucune étude n’a découvert de lien entre la dose de glyphosate présente dans les urines et une quelconque maladie.
La dose fait le poison
C'est une illustration d’un principe souvent évoqué en physique qui veut que « la dose fasse le poison ». En théorie, tout produit d’origine naturelle ou synthétique est toxique et c’est la quantité (la dose) qui détermine sa toxicité.
La notion de seuil, qui représente la quantité minimale sous laquelle il ne se produit aucun effet sur la santé, est donc importante. Au-dessus de ce seuil, l’effet dépend de la dose. Or, il n’a pas été établi pour le glyphosate dans l’urine chez l’humain. Par contre, on sait que la dose létale médiane (LD50), ou la quantité nécessaire pour tuer 50 % d’une population animale, est de plus de 5000 mg/kg, par ingestion, chez les rats. Un humain de 60 kg devrait donc avaler plus de 300 g de glyphosate pour avoir un risque sur deux de mourir. En comparaison, la LD50 du sel de table est de 3000 mg/kg.
Il existe par ailleurs un autre seuil à connaître, celui de la dose journalière, pour connaître les effets néfastes cumulatifs du produit lorsqu’il est consommé sur une longue période. Là encore, en-dessous de ce seuil, aucune toxicité n’est observée, si le composé est ingéré tous les jours durant toute une vie (c’est la notion de dose de référence chronique abordée plus haut). Or, ce seuil dépend en bonne partie de la biodégradation plus ou moins rapide d’un produit ingéré, et de son rythme d’élimination… notamment dans l’urine.
Ce qu’on trouve dans les urines
En effet, l’urine est la voie par laquelle le corps se débarrasse des substances non désirables ou en excès dans le sang. En d’autres termes, un test d'urine détecte ce dont le corps veut se débarrasser. Dans le cas du glyphosate, les études montrent que l’absorption orale du glyphosate est d’environ 20 %. C’est-à-dire qu’un cinquième seulement du glyphosate mangé passera dans le sang puis sera filtré et finira dans les urines ; le reste finira dans les selles. Le glyphosate n'est pratiquement pas métabolisé et il ne s'accumule pas dans l'organisme.
Verdict
Le glyphosate peut sans doute avoir un effet sur la santé, mais cela dépend du contexte, de, la durée et de la concentration d’exposition. En-dessous d'un certain seuil, il ne posera pas forcément un risque. Il faut aller au-delà de la concentration mesurée pour évaluer si cette dose est suffisante pour engendrer un effet sur la santé. Dans le cas du glyphosate, il reste encore beaucoup d’inconnues à ce sujet.
Vous ou un proche avez été exposés à un contaminant et vous ne savez pas comment intervenir? Contactez le centre antipoison du Québec : 1 800 463-5060.
Une expérience similaire en France en 2018 avait donné lieu à plusieurs textes de vulgarisation sur le manque de fiabilité et l’absence de conclusions qu’on pouvait tirer de ces tests d’urine.
Les astuces du Détecteur de rumeurs devant un sujet controversé
On peut être opposé au glyphosate tout en étant en accord avec les faits contenus dans cet article. Voici à ce sujet deux astuces du Détecteur de rumeurs.
1) La première consiste à repérer ce qui relève du fait et ce qui relève de l'opinion. Par exemple, « je crois que les pesticides devraient être abolis » est une opinion. « On a détecté des traces de glyphosate dans l’urine » est un fait. « Cette enquête est insuffisante sur le plan scientifique » est également un fait.
2) La deuxième astuce est qu'un tel sujet ne peut pas se régler en prêtant des intentions. Par exemple, un commentaire sur cet article qui prêterait des intentions à l'auteure de l’article, ou à Monsanto, ou aux médias, ne mènerait nulle part: ce qu'il faut établir, c'est ce qui relève des faits.
N'importe quel lecteur qui souhaite devenir un assistant du Détecteur de rumeurs, quel que soit le sujet, peut partir du même principe: séparer les faits des opinions et, au besoin, cibler uniquement les affirmations qui peuvent être vérifiées.
Pascal Lapointe