Comprendre comment notre système immunitaire parvient à produire des anticorps efficaces est au cœur des travaux de Javier Marcelo Di Noia, dont le laboratoire est situé à l’Institut de recherche clinique de Montréal. Sa recherche fondamentale s’attaque à un phénomène connu depuis longtemps : lors d’une infection ou d’une vaccination, les premiers anticorps produits ont une affinité limitée, mais leur efficacité augmente ensuite, grâce à un processus appelé « maturation des anticorps ». Ce mécanisme repose sur des mutations ciblées de l’ADN dans les lymphocytes B, orchestrées par une enzyme clé : l’AID (Activation Induced Cytidine Deaminase). Bien que les mutations soient généralement associées à des maladies génétiques ou au cancer, elles constituent ici une stratégie évolutive unique permettant de générer une mémoire immunitaire durable. Cependant, lorsque ce processus déraille, il peut mener à des immunodéficiences ou favoriser le développement de lymphomes, d’où l’importance de mieux en comprendre les mécanismes moléculaires.
Pour explorer ces phénomènes, le chercheur et son équipe combinent diverses approches expérimentales. Ils utilisent la biologie moléculaire et la biochimie pour analyser l’activité de l’AID et ses interactions avec d’autres protéines, ainsi que des lignées cellulaires pour valider leurs résultats. De plus, des modèles de souris permettent de reproduire certaines conditions menant à une meilleure compréhension des processus immunitaires.
Ces méthodes ont mené à des découvertes majeures. D’abord, elles ont permis l’identification de plusieurs gènes qui contrôlent la prolifération et la différenciation des lymphocytes B, nécessaires pour une bonne réponse d’anticorps. À cet égard, notons, entre autres, le rôle d’enzymes comme la PRMT1, qui a été mis en lumière dans le destin cellulaire des lymphocytes B et de certains lymphomes. Ensuite, les mutations de l’AID responsables de déficiences immunitaires ont pu être modélisées. Ces résultats nous aident à comprendre pourquoi l’AID cible surtout les gènes des anticorps, mais entraîne parfois des mutations accidentelles lourdes de conséquences. De plus, une nouvelle ligne de recherche du laboratoire sur l’enzyme CDADC1, de la même famille que l’AID, a révélé une voie métabolique jusque-là inconnue chez l’humain qui module la toxicité de certains traitements de chimiothérapie.
Les retombées de ces recherches sont prometteuses. Elles enrichissent la liste des gènes pouvant expliquer certaines immunodéficiences encore inexpliquées, offrant aux cliniciens de nouvelles pistes diagnostiques. Elles révèlent aussi des mécanismes de dérégulation cellulaire qui pourraient, à terme, inspirer des thérapies ciblées contre les lymphomes, par exemple, en modulant certaines enzymes. Enfin, elles ouvrent la voie à d’éventuelles applications en vaccination, en cherchant à améliorer l’efficacité de certaines immunisations.
Références
- Subramani, P. G., Fraszczak, J., Hellnes, A., Estall, J., Möröy, T., et Di Noia, J. M. (2024). A conserved role of hnRNPL in regulating alternative splicing of transcriptional regulators necessary for B cell activation. EMBO Reports. https://doi.org/10.1038/s44319-024-00152-3
- Litzler, L. C., Zahn, A., Dionne, K. L., Sprumont, A., Ferreira, S. R., Slattery, M., Méthot, S. P., Patenaude, A. M., Hébert, S., Kabir, N., Subramani, P. G., Jung, S., Richard, S., Kleinman, C., et Di Noia, J. M. (2023). Protein arginine methyltransferase 1 regulates B cell fate after positive selection in the germinal center in mice. Journal of Experimental Medicine, 220(9), e20220381. https://doi.org/10.1084/jem.20220381
- Méthot, S. P., Litzler, L. C., Subramani, G. P., Eranki, A., Fifield, H., Patenaude, A.-M., Gilmore, J. C., Santiago, G. E., Bagci, H., Côté, J.-F., Larijani, M., Verdun, R. E., et Di Noia, J. M. (2018). A licensing step links AID to transcription elongation for B cell mutagenesis. Nature Communications, 9(1), 1248. https://doi.org/10.1038/s41467-018-03387-6



