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Une biochimiste « hors de la boîte »

Quand elle était petite, Isabel Desgagné-Penix, professeure au Département de chimie, biochimie et physique à l’Université du Québec à Trois-Rivières, voyait les femmes de sa communauté du Lac-Saint-Jean concocter des remèdes à base de plantes faute d’argent pour aller chez le médecin. « C’est ce qui a allumé chez moi l’étincelle des sciences », raconte la jeune femme d’origine innue. Même si elle n’a alors aucun modèle universitaire dans son village, elle s’inscrit au baccalauréat en microbiologie, puis à la maîtrise en immunologie et biologie cellulaire à l’Université de Sherbrooke, afin de vérifier la valeur pharmacologique des plantes médicinales traditionnelles. Ce fut une expérience troublante. « Je ne pensais pas comme les autres, se rappelle-t-elle. Mes idées étaient souvent vues comme farfelues. » Croyant ne pas cadrer en recherche, la microbiologiste retourne dans sa région natale pour travailler comme superviseure de laboratoire en analyse biochimique. Cette carrière fut de courte durée. Un environnement familial difficile et une curiosité scientifique insatisfaite la poussent à prendre un billet d’autobus pour le Texas, où elle rencontre une chercheuse passionnée par les plantes médicinales.

L’importance des mentors

« J’ai été conquise par Valerie Sponsel, une femme forte, mais tout en douceur, qui a fait son chemin dans un monde d’hommes », raconte Isabel Desgagné-Penix. Pendant son doctorat en biologie cellulaire et moléculaire, la jeune femme donne naissance à son fils; grâce à sa mentor, elle réussit à concilier sa vie de mère monoparentale et ses travaux de recherche. Pour son postdoctorat, Isabel Desgagné-Penix s’envole pour Calgary où son directeur, Peter Facchini, la laisse donner suite à ses idées originales. Résultat ? Elle obtient le Prix Edward R. McCauley 2012 de l’Université de Calgary pour l’excellence de sa recherche en génomique et en biochimie des produits naturels issus du pavot à opium et d'autres plantes capables de produire des alcaloïdes, comme la codéine ou la morphine, des substances recherchées pour leur puissant effet pharmacologique.

En 2013, l’UQTR mise sur la jeune scientifique, maman pour une deuxième fois, en lui offrant un poste de professeure-chercheuse pour poursuivre son travail sur les alcaloïdes. Comme les plantes produisent peu de ces molécules, il y a une forte demande pour une autre méthode de fabrication utilisant la biotechnologie. Le rêve de la chercheuse ? Incorporer les voies de synthèse naturelle des alcaloïdes dans une levure ou dans une microalgue pour en faire de petites machines à médicaments. « Mais je dois d’abord bien comprendre chacune des étapes biochimiques en jeu dans la plante », précise Isabel Desgagné-Penix, membre du Centre Sève. Une tâche colossale, car la science ne sait pas grand-chose à ce sujet.

Célébrer la différence en recherche

La chercheuse n’en est pas à son premier défi. « J’ai souvent caché mes origines amérindiennes, à cause des préjugés, admet-elle. Et pourtant, ce sont elles qui m’ont permis de m’adapter à toutes sortes de situations, à l’instar de mes ancêtres qui allaient chercher dans la forêt les médicaments qu’ils ne pouvaient s’acheter. » Vivre en différents endroits a amené la biochimiste à prendre conscience de ses forces en recherche. « Il ne faut jamais penser qu’on n’est pas fait pour cette carrière, dit-elle. Et il ne faut pas craindre les moments difficiles, car ils sont des plus formateurs. »

Isabel Desgagné-Penix croit profondément que la recherche a besoin d’ambassadeurs de tous les milieux, hommes et femmes, car chacun pense différemment et aborde les étudiants autrement. Elle n’hésite donc pas à endosser ce rôle en agissant comme juge dans les expositions scientifiques autochtones.


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