Les articles du Détecteur de rumeurs sont rédigés par des journalistes scientifiques de l’Agence Science-Presse.
Les Fonds de recherche du Québec et le Bureau de coopération interuniversitaire sont partenaires du Détecteur de rumeurs.
Auteur : Agence Science Presse – Kathleen Couillard
Un implant dans le cerveau pour envoyer des courriels ou faire bouger un robot : est-ce de la pure science-fiction? Le Détecteur de rumeurs a vérifié où en était cette technologie.
De quoi parle-t-on ?
En novembre dernier, l’homme d’affaires Elon Musk annonçait qu’il n’attendait plus que l’approbation des autorités américaines (la Food and Drug Administration, ou FDA) pour commencer à tester chez l’humain un implant pour le cerveau développé par Neuralink, la compagnie qu’il a co-fondée.
Indépendamment du succès qu’auront ou non ces tests, il ne s’agit pas de la première fois que quelqu’un se lance dans l’aventure. Ces dernières années en effet, plusieurs groupes de recherche ont mis au point leur propre dispositif de ce qu’on appelle une interface cerveau-machine (ICM) permettant au cerveau de communiquer directement avec un ordinateur. Le principe est simple : lorsque nous pensons à quelque chose, notre cerveau produit un signal électrique qui peut être capté par l’ICM.
L’ICM est composé de trois parties, décrit le site d’un programme de l’Université de Calgary consacré à la recherche dans ce domaine:
– Tout d’abord, un dispositif mesure l’activité du cerveau. Il peut s’agir d’un casque muni d’électrodes ou d’un implant en contact direct avec le cerveau.
– Un ordinateur analyse ensuite l’activité du cerveau et tente de déterminer les intentions de l’utilisateur.
– Enfin, un appareil extérieur reçoit et exécute la commande.
Les implants utilisés dans un ICM sont en général des matrices de microélectrodes. Elles peuvent enregistrer l’activité de dizaines, voire de centaines de neurones simultanément, expliquent trois chercheurs français dans un article récent qui résume l’évolution de cette technologie. Lors d’une intervention où l’on perce le crâne, ces matrices sont déposées directement à la surface du cortex cérébral. Le plus utilisé de ces implants est le Utah Array, commercialisé par la firme américaine Blackrock Neurotech.
Certaines compagnies tentent toutefois de développer des implants qui nécessiteraient des interventions chirurgicales moins invasives. Par exemple, Stentrode, commercialisé par une autre firme américaine, Synchron, est installé dans un vaisseau sanguin à l’intérieur du cerveau.
Qu’est-ce qu’on a testé ?
Le premier essai clinique de l’implant BrainGate sur un patient tétraplégique (une paralysie des quatre membres) remonte déjà à près de deux décennies : il a débuté en 2004 et les premiers résultats ont été publiés en 2006. Après l’installation de l’implant dans une région du cerveau responsable du mouvement de la main, le patient a réussi à bouger le curseur d’un ordinateur, à contrôler une télévision et à utiliser un bras robotique, grâce à ses pensées.
Par la suite, différents types d’implants ont été testés avec différents objectifs. Par exemple, en 2012 puis en 2017, des patients tétraplégiques ont pu faire des mouvements plus complexes avec un bras robotique et même avec leur propre bras branché à un système de stimulation électrique. Ces patients sont parvenus à saisir une tasse, à boire à partir d’une bouteille et à se nourrir eux-mêmes.
Parallèlement, en 2016 et en 2017, des patients paralysés ont appris à taper grâce à leurs pensées et en 2021, des patients incapables de parler ont réussi à communiquer en s’imaginant prononcer des mots ou écrire des lettres. En 2022, un patient a même pu produire des phrases.
Dans un article publié en janvier dernier, on apprend que grâce à l’implant Stentrode, des patients atteints de sclérose latérale amyotrophique (SLA) sont parvenus à texter, à envoyer des courriels, à faire des transactions à l’aide d’une application mobile et à magasiner en ligne.
Encore très expérimental
Toutefois, comme le rappelle le Government Accountability Office des États-Unis (GOA), la plupart des implants utilisés comme ICM sont encore au stade expérimental. Même après deux décennies, moins de 40 personnes dans le monde seraient munies d’un tel dispositif.
Dans un reportage publié l’an dernier dans Nature, qui rapportait l’état de la recherche, les auteurs soulignaient que des études cliniques de plus grande envergure seront nécessaires pour montrer que ces implants peuvent fonctionner en-dehors des laboratoires et qu’ils peuvent vraiment améliorer le quotidien des patients.
En effet, dans la majorité des cas, les patients sont connectés physiquement à un ordinateur et doivent être assistés par des techniciens.
Des progrès ont par contre été réalisés ces dernières années. Par exemple, en 2021, des scientifiques travaillant sur l’implant BrainGate ont mis au point un dispositif associé à un transmetteur sans fil avec une large bande passante. L’implant Stentrode est lui aussi muni d’un transmetteur sans fil. Ce qui permettrait une plus grande autonomie des patients, avec la possibilité d’utiliser cette technologie à la maison.
Plusieurs enjeux à régler
Toutes ces expériences visent à améliorer la qualité de vie de certains patients. Mais les scientifiques évoquent parfois des applications non médicales : jeux vidéo, réalité virtuelle, communication, performances artistiques et stratégies militaires. Cependant, plusieurs enjeux devront être réglés avant que de tels implants soient installés dans le crâne de personnes en santé.
Par exemple, dans l’étude réalisée en 2018 auprès d’un patient tétraplégique, les chercheurs ont remarqué que les mouvements rendus possibles par l’implant n’avaient pas la même vitesse ni la même précision que ceux d’une personne sans handicap.
Le GOA souligne également que l’utilisation d’un ICM nécessite un entraînement puisque l’utilisateur doit apprendre à produire des signaux qui seront reconnus par le système. Par exemple, dans une étude déjà citée, parue en 2016, un patient atteint de SLA a mis 28 semaines pour apprendre à taper.
De plus, les signaux produits par le cerveau d’un individu sont uniques. L’algorithme doit donc lui aussi apprendre à distinguer les intentions de l’utilisateur. Dans le reportage publié l’an dernier dans Nature, on apprenait que les technologies d’apprentissage automatique avaient permis des progrès dans ce domaine.
Enfin, selon le GOA, l’installation d’un implant dans le cerveau est associée à des risques chirurgicaux, comme l’infection ou le rejet. Les patients munis d’un implant pourraient également être victimes d’une cyberattaque si des pirates tentent d’intercepter les informations entreposées sur leur téléphone.
Verdict
Les implants dans le cerveau permettent d’ores et déjà à certaines personnes handicapées de retrouver une certaine autonomie. Cependant, cette technologie est encore très expérimentale et beaucoup d’obstacles devront être surmontés avant qu’elle soit disponible sur le marché.