Sommes-nous tous égaux face au stress? Sonia Lupien, professeure titulaire au Département de psychiatrie de l’Université de Montréal et directrice du Centre d’études sur le stress humain, a longtemps pensé que oui. Jusqu’à ce qu’elle se penche sur le stress féminin, et tombe des nues devant les résultats. « Il y a 20 ans, je n’étudiais que la gente masculine, plus stable sur le plan hormonal, raconte-t-elle. Mes collègues et moi étions convaincus alors que nos observations s’appliquaient aussi aux femmes. » Au début de l’an 2000, par contre, les organismes subventionnaires de la recherche commencent à obliger les scientifiques à inclure des sujets féminins dans leurs projets, par souci d’éthique. « J’espérais tellement ne trouver aucune différence entre le stress des femmes et celui des hommes, pour ne pas avoir à dealer avec les hormones femelles », avoue la psychoneuroendocrinologue. Ses premiers résultats montrent toutefois que les femmes sont physiologiquement moins réactives au stress que les hommes. Par contre, elles sont championnes du stress basal. « On parle ici du stress qu’on transporte avec nous, par exemple à la suite d’une chicane avec notre conjoint, explique Sonia Lupien. Les femmes produisent constamment plus d’hormones de stress parce qu’elles voient des stresseurs partout. Elles se définissent d’ailleurs beaucoup par le niveau de stress qu’elles vivent ».
Du genre stressé?
La chercheuse a ensuite poussé ses réflexions plus loin : et si le genre, comme l’orientation sexuelle ou le rôle exercé dans la société, pouvait aussi influencer le stress? Avec son étudiant au doctorat Robert-Paul Juster, elle a sondé les interactions entre le sexe, le genre et le stress chez des travailleurs et travailleuses. Résultats : les employés, hommes ou femmes, qui adoptent des rôles considérés comme masculins (affirmation de soi, sens de la compétition) présentent de plus fortes concentrations d’hormones de stress. L’orientation sexuelle a aussi un effet. Les hommes homosexuels stressent de la même façon que les femmes hétérosexuelles, alors que le stress des femmes homosexuelles se compare à celui des hommes hétérosexuels. Par ailleurs, sortir du placard est bénéfique pour la santé mentale : moins d’hormones de stress, de symptômes d’anxiété, de dépression et de « burnout ».
Aujourd’hui, ces observations servent notamment aux psychologues pour orienter les thérapies. Sonia Lupien prend d’ailleurs très à cœur le transfert de connaissances auprès des professionnels, mais aussi du grand public. « Je me suis levée un matin et j’ai décidé de propager mes résultats scientifiques sur un site Internet auquel mes étudiants participent bénévolement », dit cette scientifique qui a été placée en 2003 dans le top 10 des Canadiens qui font une différence par la revue MacLean’s. Elle y parle de différents aspects du stress, notamment celui relié au choix de carrière dès la 5e secondaire. « Les jeunes doivent arrêter de stresser sur ce qu’ils veulent faire. Il faut choisir nos études en fonction de ce qu’on aime avant tout. La vie va se charger de nous amener vers la carrière qui réunira nos talents et nos passions », croit cette femme qui n’a découvert son amour pour le stress et son envie de devenir chercheuse… qu’à sa deuxième année de doctorat en neurosciences.