Les articles du Détecteur de rumeurs sont rédigés par des journalistes scientifiques de l'Agence Science-Presse.
Les Fonds de recherche du Québec et le Bureau de coopération interuniversitaire sont partenaires du Détecteur de rumeurs.
Auteur : Agence Science Presse– Pascal Lapointe
Avec les alertes lancées en décembre et janvier sur une recrudescence « inquiétante » de la rougeole en Europe, le premier réflexe de plusieurs sur les réseaux sociaux aura été de minimiser: soit parce que ces cas sont loin de chez eux, soit parce que la rougeole est rarement mortelle. Que peut-on décoder de ces chiffres, s’est demandé le Détecteur de rumeurs.
L’Europe est moins concernée? Faux
Les données les plus récentes proviennent d’annonces de l’UNICEF et de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), en décembre: elles font état de 30 fois plus de cas de rougeole dans la « région européenne » de l’OMS, soit 30 600 cas recensés en 2023, contre seulement 900 en 2022.
Comme deux des trois premiers pays de la liste sont le Kazakhstan (plus de 13 000 cas) et le Kirghizistan (3800), deux anciennes républiques soviétiques qui font partie de la « région européenne » de l’OMS mais qui sont à plus de 5000 km de la France, et comme le deuxième pays est la Russie (6100 cas), il n’en fallait pas plus pour que des internautes parlent de « désinformation ».
Ceci dit, on observe bel et bien une tendance en Europe de l’ouest, même si elle est plus modeste. Par exemple, le Royaume-Uni rapporte, pour 2023, près de 370 cas, dont le tiers sont à Londres, contre une cinquantaine en 2022. Dans l’ensemble, ce sont 41 des 53 États membres de cette « région européenne » qui ont signalé des cas de rougeole en 2023.
Réagissant à ces alertes, Santé publique France a publié un communiqué le 26 janvier: un peu plus d’une centaine de cas ont été recensés en 2023, mais le pays « bénéficie d’une couverture vaccinale chez les nourrissons » jugée satisfaisante, « proche de l’objectif à atteindre pour éliminer la maladie ».
Le taux de mortalité, le chiffre le plus important? Faux
Certes, la majorité des cas ne se traduiront que par ces fameuses éruptions cutanées qui apparaissent après quelques jours. Mais une infection à la rougeole peut provoquer une encéphalite dans un cas sur 1000, des problèmes de surdité et de vision, et un décès dans un cas sur 3000. Le Centre américain de contrôle des maladies estime le taux de décès chez les enfants entre 1 et 2 par 1000.
Mais la donnée la plus importante à prendre en compte est ailleurs: la rougeole est la maladie humaine la plus contagieuse connue. Une personne peut en contaminer jusqu’à 18 autres (contre, en moyenne, 2 pour la grippe). Et il n’existe pas de traitement. C’est là que la vaccination à grande échelle fait une différence: si une personne contaminée n’a dans son entourage que des personnes vaccinées, le virus aura peu de chances d’atteindre 18 autres personnes.
Le rapport de l’OMS de décembre faisait état de 21 000 hospitalisations dans la zone européenne et de 5 décès (4 au Kirghizistan, 1 en Arménie).
En temps normal, c’est de l’Afrique et de l’Asie qu’on s’inquiète: l’OMS estime que la rougeole a fait 121 000 morts dans le monde en 2021, la grande majorité dans des pays à faible revenu. Avant la généralisation de la vaccination, on estimait à plus de 2 millions le nombre annuel de décès liés à la rougeole dans le monde.
Haute couverture vaccinale signifie sécurité? Ça dépend
À première vue, une couverture vaccinale à 95% semble encourageante, et le taux d’efficacité du vaccin est estimé à 93% avec une dose et à 97% avec deux.
Mais il suffit d’une légère baisse pour qu’une personne contaminée voit augmenter son risque d’en contaminer d’autres: c’est manifestement ce qui se passe au Royaume-Uni, où la couverture vaccinale chez les enfants a décliné à 85%, et où c’est encore plus faible dans certains quartiers de Londres, poussant l’Agence de sécurité sanitaire à lancer une alerte il y a quelques semaines.
C’est parce que, même avec des taux en apparence élevés, une résurgence qui se mesure en dizaines de milliers de cas nécessitant une hospitalisation —voire en centaines de milliers, si la tendance se maintient— signifie qu’il y aura inévitablement des gens subissant des effets secondaires graves, de même que des décès. La chose a été mesurée à travers le monde depuis les années 1980: il y a une corrélation statistique entre la baisse de la couverture vaccinale et la hausse du nombre de cas.
Ce n’est pas par hasard si plusieurs des éclosions de la dernière décennie —dont une au Québec en 2015 dans la région de Joliette— l’ont été dans des communautés sous-vaccinées, voire pas vaccinées. Dans l’État américain de l’Ohio, une éclosion à la fin de 2022 s’est soldée par 85 cas, dont 80 chez des non-vaccinés. Au Québec, note le ministère de la Santé, en-dehors de ces éclosions, les quelques rares cas depuis 2001 sont des gens « ayant acquis la maladie à l’étranger ».
Un effet COVID ? Probablement
Les mouvements d’opposition aux vaccins contre la COVID pourraient-ils avoir eu un impact à la baisse sur la vaccination contre des maladies infantiles comme la rougeole ou la diphtérie? La chose est suggérée depuis deux ans, quoique jusqu’ici difficile à démontrer : comme le notait un rapport de l’UNICEF et de l’OMS en juillet 2022, les ressources humaines dévolues à la lutte contre le coronavirus et les mesures de confinement ont contribué en 2020-2021 au plus important recul en 30 ans des campagnes de vaccination infantile dans les pays les plus pauvres.
Mais aux États-Unis, les témoignages s’accumulent de pédiatres et de médecins qui rencontrent davantage qu’avant des parents fermement opposés à toute forme de vaccination. La tendance avait été notée avant la pandémie, mais semble avoir été nourrie par celle-ci. Les médecins ne blâment pas tant les parents que les campagnes de désinformation qui ont le champ libre sur les réseaux sociaux.