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Quand le laboratoire a un genre

gender_jmogil« Il y a trop de testostérone dans les laboratoires de recherche », se désole Jeffrey Mogil, chercheur au Département de psychologie de l’Université McGill et membre du Réseau québécois de recherche sur la douleur. Une situation qui peut compromettre les résultats des études scientifiques! Voilà pourquoi ce spécialiste de la douleur, titulaire de la chaire E.P.-Taylor d’études sur la douleur et directeur du Centre Alan Edwards de recherche sur la douleur, fait de l’égalité des sexes dans les labos l’un de ses chevaux de bataille. Il ne milite pas pour la parité homme-femme chez les scientifiques, mais plutôt pour la parité mâle-femelle chez les modèles animaux.

La douleur a un sexe

Il y a plus de 10 ans déjà, le professeur Mogil sonnait l’alarme : seuls des rongeurs mâles étaient utilisés comme sujets dans la majorité des projets de recherche. Il soutenait alors que cette suprématie masculine pouvait fausser les données… Et il n’avait pas tort. En 2015, alors qu’il tente de valider qu’on peut bloquer les circuits de la douleur chez des souris et des rats en entravant le fonctionnement de cellules nerveuses appelées microglies, le chercheur remarque que l’expérience réussit bien avec les mâles, mais pas avec les femelles. Comment est-ce possible alors que, depuis de nombreuses années, la communauté scientifique s’accorde pour dire que la transmission de la douleur dans le système nerveux se fait par ces microglies, et ce, autant chez la gente masculine que féminine? En scrutant la méthodologie des nombreuses études sur la douleur, Jeffrey Mogil constate que cette théorie est basée sur des expériences réalisées presque exclusivement sur des rongeurs mâles. Le chercheur venait de prouver que la douleur a un genre. Cette découverte est extrêmement importante, puisque 70 % des gens souffrant de douleurs chroniques sont des… femmes. Comment se transmet la douleur chez les femelles? Par les lymphocytes T, ou cellules T, responsables de la réponse immunitaire de l’organisme. Ces nouvelles connaissances pourraient conduire à mieux adapter au sexe féminin les médicaments contre la douleur.

Pour une mixité dans les cages

« Si je n’utilisais pas d’emblée des rongeurs des deux sexes lors de mes expériences, je n’aurais jamais pu découvrir cette différence », soutient le chercheur de McGill. Contrairement à ce dernier, la plupart des scientifiques se tiennent loin des cobayes femelles et de leurs fluctuations hormonales lors des expérimentations. En 2008, Jeffrey Mogil a recensé que 79 % de toutes les recherches publiées dans The Journal of Pain avaient utilisé seulement des sujets masculins. En 2015, les chiffres n’avaient pas changé, malgré des preuves solides que les mâles sont, finalement, plus instables biologiquement que les femelles.

Les choses bougeront peut-être alors qu’aux États-Unis, les National Institutes of Health préconisent l’utilisation de rongeurs des deux sexes dans les études précliniques. Plusieurs grands organismes subventionnaires ont également ajouté des politiques pour s’assurer d’une mixité dans les cages de laboratoire. Car si la douleur a un genre, d’autres systèmes biologiques sont peut-être sexués sans qu’on le sache… étant donné qu’on a toujours tout testé sur des animaux mâles!


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