Les articles du Détecteur de rumeurs sont rédigés par des journalistes scientifiques de l'Agence Science-Presse.
Le Fonds de recherche du Québec est partenaire du Détecteur de rumeurs.
Auteur : Agence Science Presse - Pascal Lapointe
Pendant les derniers jours de septembre 2024, entre le moment où la tempête Helene a atteint le statut d’ouragan et celui où elle a déversé des trombes d’eau à l’intérieur des terres, la désinformation sur les réseaux sociaux y a trouvé un terrain propice. S’agit-il d’une nouvelle menace lors de chaque désastre naturel? Le Détecteur de rumeurs a vérifié ce qu’il en était.
Les mêmes rumeurs se répètent d’une fois à l’autre? Vrai
Certaines rumeurs, récurrentes d’un désastre naturel à l’autre, sont anodines. C’est le cas de la fausse image d’un requin en train de nager dans une autoroute inondée, qui réapparaît depuis 2011 lors d’inondations majeures: elle a même sa page Wikipédia.
Mais d’autres rumeurs, reprises ou adaptées d’une catastrophe à l’autre, sont plus sombres. Par exemple, en 2023, lorsqu’une île de l’archipel d’Hawaï avait été dévastée par des incendies majeurs, une des rumeurs les plus virales avait été celle voulant que ces feux aient été allumés par des rayons lasers émis par des satellites secrets. Cette même rumeur avait circulé trois ans plus tôt pendant des incendies en Californie.
Cette fois-ci, avec l’ouragan Helene, une affirmation sur les réseaux sociaux veut qu’un programme gouvernemental secret appelé HAARP (qui est en réalité un programme d’étude de l’ionosphère) aurait été utilisé pour détourner la trajectoire de l’ouragan. Ceci, afin qu’il ravage des comtés peuplés d’une majorité d’électeurs républicains. Une variante de cette rumeur, lancée le 25 septembre par un influenceur conservateur: l’ouragan serait apparu « de nulle part » sur les cartes météorologiques (c’est évidemment faux, comme l’a vérifié l’Agence France-Presse).
Des rumeurs motivées idéologiquement? Possible
Il y a un point commun entre ces trois dernières rumeurs et plusieurs autres : leurs auteurs nient la réalité des changements climatiques et prétendent que tel ou tel événement a plutôt été causé par un programme gouvernemental secret. Ainsi, en 2023, des vidéos TikTok avaient prétendu que les feux de forêt dans le nord canadien avaient été allumés délibérément par des hélicoptères. La même année, d’autres fausses informations avaient mis les inondations majeures en Italie sur le compte d’expériences secrètes de géoingénierie.
Dans un rapport publié en 2023, le groupe Climate Action Against Disinformation —une coalition de groupes de chercheurs et de militants— constatait que beaucoup de ces rumeurs recyclées d’un événement à l’autre depuis des années, avaient en commun un déni climatique.
Des impacts sur la sécurité de la population? Probablement
Dans une situation de crise où le niveau d’angoisse est élevé, cette désinformation pourrait-elle avoir un impact sur la santé ou la sécurité de la population? En août 2018, la fausse rumeur d’une rupture imminente d’un barrage lors d’inondations en Inde aurait nui à l’acheminement des secours, dénonçaient les autorités locales. En 2017 aux États-Unis, dans le contexte des ouragans Harvey et Irma, les efforts d’évacuation des résidents auraient été freinés par un mélange de « peurs irrationnelles » —une rumeur voulait que les responsables de refuges vérifieraient le statut d’immigration— et de « faux espoirs » —une autre rumeur voulait que les survivants recevraient du gouvernement des génératrices gratuites— selon des chercheurs de l’Université de Buffalo.
Mais en général, l’impact reste difficile à mesurer, ont conclu deux synthèses d’études sur la désinformation, l’une pendant des crises humanitaires, parue en 2021, et l’autre sur des sujets « sensibles », parue en 2022.
En attendant, les recherches s’entendent toutefois sur le fait que les autorités réagissent trop tard, voire pas du tout.
Or, la désinformation profite d’un vide informationnel: pendant les premières heures, voire pendant quelques jours, l’information fiable en provenance des zones sinistrées est difficile à obtenir, et les rumeurs remplissent ce vide. C’est dans ce contexte que dès 2018, un document du Département de la sécurité intérieure des États-Unis (Homeland Security) recommandait aux agences gouvernementales de développer de « meilleures pratiques » pour contrer la désinformation dans les situations « d’urgences et de désastres ».
Lors de telles situations, « l’exposition à de fausses informations peut accroître la vulnérabilité de certains individus », ajoutaient des experts européens en réduction de risque dans une étude parue en 2021. Un risque qui ne pourra que grossir à mesure que la crise climatique prendra de l’ampleur.
Même le site web de la Croix-Rouge canadienne contient un avertissement sur la désinformation « en temps de désastres »: elle « peut être très convaincante, surtout quand elle s’adresse à nos propres biais ».
Des impacts sur la lutte aux changements climatiques?
Quant aux rumeurs qui nient l’influence des changements climatiques dans les désastres naturels et leur préfèrent un complot gouvernemental, elles pourraient nuire aux futurs efforts de réduction des gaz à effet de serre, craignent plusieurs experts. D’autant plus que les auteurs de ces rumeurs transforment les climatologues en cibles. Un reportage du New York Times notait en août 2023 que ces théories du complot décrivent les experts scientifiques comme des membres d’une « cabale mondialiste » secrète.
Le danger, commentait l’experte en désinformation climatique Jennie King, « n’est pas que les gens entretiennent des visions désagréables » de la réalité. Le danger réside plutôt dans « notre incapacité à avoir un dialogue de bonne foi sur ces questions absolument critiques pour les années à venir ».