Auteur : Agence Science Presse
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scientifiques de l'Agence Science-Presse. Les Fonds de recherche du Québec et
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Il y a longtemps que des livres et des séries télé affirment qu’une civilisation très avancée aurait jadis, avant de disparaître, propagé son savoir au reste de l’humanité. Plus récemment, certains experts ont vu dans ces théories des idées racistes. Le Détecteur de rumeurs résume leurs arguments.
La « civilisation disparue » n’est pas nécessairement la même d’une œuvre à l’autre, mais l’idée centrale demeure : un peuple ancien et très développé qui aurait sorti l’Humanité de « l’ignorance » (voir notre autre texte).
Des peuples primitifs
Dans une enfilade sur Twitter motivée par la récente série télé Ancient Apocalypse, l’archéologue Ken Feder, de la Central Connecticut State University, déplore ce discours des pseudoarchéologues, qui sous-entend que les cultures anciennes étaient primitives et n’étaient donc pas en mesure de bâtir des chefs-d’œuvre d’architecture sans aide extérieure.
Cette vision des peuples qui nous ont précédés n’est toutefois pas nouvelle. Dans un article qui aborde le thème du diffusionnisme dans les théories archéologiques, l’archéologue Alice E. Storey et l’anthropologue Terry L. Jones racontaient en 2010 l’histoire des bâtisseurs de tumulus.
Ces constructions qu’on retrouve dans la région des Grands Lacs, de l’Ohio et du Mississippi, intriguaient beaucoup les Américains du 18e et du 19e siècle. Ils croyaient alors que les autochtones n’avaient pas les habiletés nécessaires pour avoir construit ce genre de monument et s’imaginaient donc qu’une civilisation disparue en était à l’origine. Plusieurs candidats ont été proposés : les tribus perdues d’Israël, les Phéniciens, les Scandinaves, etc. Il a fallu attendre jusqu’en 1894 pour que l’ethnologue américain Cyrus Thomas démontre que ces tumulus étaient bel et bien l’œuvre des Premières nations locales de l’époque.
Stephanie Halmhofer, archéologue canadienne qui s’est intéressée aux liens entre la pseudoarchéologie et les suprémacistes blancs, notait en 2021 que ce sont les capacités des cultures non européennes que l’on remet généralement en doute. Par exemple, les pyramides de Gizeh, le Grand Zimbabwe et les statues de l’Île de Pâques, font partie des monuments dont la construction est souvent attribuée à des extraterrestres ou à une civilisation disparue, renchérit Sarah E. Bond, professeure d’histoire à l’Université de l’Iowa.
Ken Feder souligne lui aussi que les théories pseudoarchéologiques contestent rarement les habiletés des Grecs anciens et des Romains. Cette façon de voir les choses minimise l’intelligence des cultures non européennes et efface leurs accomplissements, concluent ces experts.
En décembre, Angelina Nugroho, étudiante en anthropologie à l’Université Cornell, concluait d’une analyse des discussions sur Twitter autour de ces théories qu’elles avaient leurs racines dans les mouvements « impérialistes » et « suprémacistes blancs ».
Une civilisation avancée blanche
Dans les théories de pseudoarchéologie, la société disparue qui aurait transmis ses connaissances aux peuples primitifs est très souvent blanche, ajoute Ken Feder.
Par exemple, au 19e siècle, la philosophe russe Helena Blavatsky a développé plusieurs théories pseudoarchéologiques toujours populaires aujourd’hui, raconte Christie Fender, étudiante en archéologie à l’Université de Saskatchewan. Ces théories, ajoute Angelina Nugroho, proposent notamment que les habitants de l’Atlantide ont donné naissance à la race aryenne. Si « race aryenne » a d’abord fait référence à un peuple d’origine indo-iranienne, certains auteurs du 19e siècle parleront plutôt d’individus ressemblant aux peuples nordiques. Ces théories sous-entendent donc que seuls les Blancs auraient pu accomplir les merveilles attribuées à l’Atlantide.
Or, ces idées sont toujours véhiculées aujourd’hui. Par exemple, l’auteur Marco Vigato, qui intervient dans la série Ancient Apocalypse, continue de prétendre que les Aryens constitueraient la « 5e étape » dans l’évolution de l’humanité et seraient des descendants des Atlantes. Il soutient également que l’être humain n’aurait pas vu le jour en Afrique, mais plutôt sur un continent maintenant englouti qui se trouvait au milieu de l’Atlantique.
En entrevue pour le magazine Slate, dans la foulée de la sortie de la série télé, l’archéologue américain John Hoopes remarque que dans l’édition de 1995 du livre Fingerprints of the Gods, l’auteur Graham Hancock, qui est derrière cette série télé, mentionnait que la civilisation avancée qui aurait partagé ses connaissances avec les sociétés antiques, était blanche. Il écrivait aussi que l’infrastructure routière et l’architecture sophistiquée des Incas étaient en fait l’œuvre d’hommes blancs aux cheveux roux, souligne Flint Dibble, archéologue à l’Université de Cardiff. Selon lui, Hancock ferait alors référence aux écrits d’Ignatius Donelly, qui a été membre du Congrès américain et qui a publié le livre Atlantide : Le monde antédiluvien en 1882.
Utilisation par les suprémacistes blancs
En bref, ces théories s’inscrivent dans un narratif raciste qui propose que seules de grandes civilisations, généralement blanches, ont pu apporter leur savoir à des peuples ignorants, résume Christie Fender.
C’est pourquoi, explique Sarah E. Bond, la pseudoarchéologie est utilisée depuis longtemps par des suprémacistes blancs pour appuyer leurs idées racistes. Par exemple, les théories sur les bâtisseurs de tumulus ont été reprises par le président américain Andrew Jackson, au 19e siècle, pour minimiser l’intelligence des autochtones et les chasser de leurs terres.
Par ailleurs, tout comme Helena Blavatsky, les archéologues nazis proposaient des liens entre l’Atlantide et le peuple aryen, remarque l’archéologue Flint Dibble. Ils cherchaient d’ailleurs à localiser des vestiges de cette société mythique et tentaient de démontrer les théories de Blavatsky, ajoute Angelina Nugroho.
Cette appropriation des théories pseudoarchéologiques existe encore aujourd’hui. L’auteur Frank Joseph, qui a écrit plusieurs livres sur l’Atlantide où il suggère un lien entre la race aryenne et les Atlantes, est l’ancien coordonnateur du parti nazi américain, souligne Christie Fender.
L’archéologue canadienne Stephanie Halmhofer s’est elle aussi penchée sur l’utilisation de la pseudoarchéologie par les nationalistes blancs. Elle a remarqué que les théories hyperdiffusionnistes —qui prétendent qu’une société très avancée serait à l’origine des connaissances d’autres civilisations antiques— sont très populaires chez les suprémacistes blancs.
Par exemple, certains groupes soutiennent que des civilisations anciennes blanches, comme les Atlantes, auraient colonisé l’Amérique et auraient été progressivement remplacées par les autochtones. D’autres nationalistes blancs disent que ce serait plutôt la société solutréenne, originaire d’Europe, qui serait la première à avoir colonisé l’Amérique du Nord. Et ils utilisent même cet argument pour réclamer des droits sur les terres autochtones, remarque Christie Fender.