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Faire un jeûne de dopamine? Impossible

Les articles du Détecteur de rumeurs sont rédigés par des journalistes scientifiques de l'Agence Science-Presse.
Le Fonds de recherche du Québec est partenaire du Détecteur de rumeurs.

Auteur : Agence Science Presse - Kathleen Couillard

Qu’on parle de jeûne, de « détox » ou de sevrage, tenter de diminuer sa production de dopamine est une tendance populaire dans plusieurs pays. Le Détecteur de rumeurs a toutefois constaté qu’elle est basée sur une mauvaise compréhension du fonctionnement du cerveau.

Les origines

Bien que le terme ait déjà été utilisé en 2017 dans un livre et en 2018 dans une vidéo YouTube, le jeûne de dopamine (« dopamine fasting ») a été popularisé en 2019 par une publication du Dr Cameron Sepah, psychologue et entrepreneur de la Californie.

L’idée est de restreindre les comportements addictifs pour une période précise, dans le but de cesser d’y avoir recours sous le coup de l’émotion. Dans la large palette des comportements énumérés par le Dr Sepah, on retrouve entre autres: « manger ses émotions », l’utilisation d’Internet, le magasinage, la pornographie et la masturbation, la recherche d’adrénaline et la consommation de drogues.

La publication du Dr Sepah est vite devenue virale et a notamment inspiré de jeunes hommes de la Silicon Valley, pouvait-on lire dans le New York Times en 2019. Dans l’espoir de se débarrasser de ce qu’ils croyaient être une dépendance à la dopamine, ils se privaient de toute activité agréable : la nourriture, l’alcool, les écrans, la musique, l’exercice, les contacts physiques et même les « contacts visuels » (eye contact).

Dopamine et dépendance

Jusque dans les années 1990, les scientifiques croyaient que la consommation de drogues déclenchait une sensation agréable à cause de la production de dopamine dans notre cerveau, C’est de là qu’est venue l’idée que la pratique du jeûne de dopamine serait bénéfique pour combattre des comportements de dépendance, racontaient récemment deux chercheurs américains spécialistes de la dépendance, Terry Robinson et Kent Berridge.

Les deux scientifiques ont toutefois démontré, grâce à des expériences chez les rats, que la dopamine ne peut pas activer les régions du cerveau associées au plaisir. Plutôt que de provoquer du plaisir, la dopamine est responsable des réflexes conditionnés et de la motivation. C’est grâce à cette molécule que notre cerveau associe quelque chose à une récompense potentielle. Par exemple, c’est la dopamine qui nous pousse à ouvrir notre téléphone au son d’une notification ou à nous procurer du maïs soufflé en entrant dans une salle de cinéma.

Un nom qui porte à confusion

Se prétendre en jeûne de dopamine parce qu’on évite les sources de plaisir a donc peu de sens, remarquait déjà en 2019 Ciara McCabe, professeure de neurosciences à l’Université de Reading, au Royaume-Uni. Dans un article de l’École de médecine de l’Université Harvard, le médecin Peter Grinspoon confirmait en 2020 que de renoncer à des activités comme manger, faire de l’exercice, écouter de la musique ou socialiser, n’avait aucun effet sur les taux de dopamine.

Par ailleurs, John Salamone, neuroscientifique à l’Université du Connecticut, mentionnait en 2020 que le terme « jeûne de dopamine » est une simplification abusive puisque certaines hormones comme le cortisol et l’adrénaline jouent un rôle important dans ce processus. Il écrivait aussi que le simple fait de se déconnecter d’Internet pour réduire les stimulations est probablement une bonne idée, dopamine ou pas.

En entrevue pour le New York Times en 2019, le Dr Sepah reconnaissait d’ailleurs que « la dopamine est seulement un mécanisme qui explique comment les dépendances sont renforcées et cela donne un titre accrocheur. Il ne faut pas le prendre au sens littéral ». Il déplorait même que son approche était mal présentée dans les médias.

Réduire les stimulus responsables de la dépendance

Selon Ciara McCabe, pour se débarrasser d’une dépendance, la clé serait de réduire l’exposition aux signaux que notre cerveau a associés à certaines récompenses. Cela serait plus efficace que de se priver de la récompense elle-même.

Il s’agit d’un point de vue partagé par le Dr Sepah. Selon lui, le jeûne de dopamine n’a pas pour objectif de réduire les niveaux de dopamine. Son approche est plutôt basée sur un type de thérapie cognitivo-comportementale appelée le contrôle du stimulus.

L’idée est de restreindre, pendant une certaine période, les stimulus qui déclenchent le comportement problématique de dépendance. Par exemple, on peut diminuer l’accès à son téléphone ou pratiquer une activité incompatible avec le comportement de dépendance: comme d’aller prendre une marche après le souper plutôt que de se servir une portion de gâteau. Le but est d’affaiblir l’association entre le comportement et la récompense, résumaient en 2022 des chercheurs canadiens dans un article sur le potentiel du jeûne de dopamine pour traiter les comportements de dépendance.

Le neuroscientifique John Salamone écrivait en 2020 qu’aucune étude ne permettait de déterminer l’efficacité du jeûne de dopamine. Quatre ans plus tard, les preuves manquaient toujours, selon le psychologue David Tzall, cité sur le site Medscape Medical News.

Des risques?

La professeure Ciara McCabe rappelait pour sa part que la dopamine est impliquée dans de nombreux processus du corps humain, dont le contrôle moteur, la mémoire et l’excitation. On observe d’ailleurs des niveaux de dopamine anormalement bas chez les personnes souffrant de la maladie de Parkinson ou de dépression. Il n’est donc pas recommandé de réduire les quantités de dopamine.

C’est sans compter que, rappelaient les chercheurs canadiens, éviter toutes les activités agréables pourrait aussi être dommageable pour la santé physique et psychologique…

Verdict

Se priver d’activités agréables n’a pas de réels effets sur le système de la dopamine, qui est un neurotransmetteur essentiel au bon fonctionnement du cerveau. Pour se débarrasser des comportements de dépendance, il est préférable d’éviter les incitatifs ou les stimulus qui y sont associés.