/ La recherche au quotidien / Du neuf dans la nouvelle étude sur l’hydroxychloroquine ? Douteux
Détecteur de rumeurs

Du neuf dans la nouvelle étude sur l’hydroxychloroquine ? Douteux

Les articles du Détecteur de rumeurs sont rédigés par des journalistes scientifiques de l’Agence Science-Presse.
Les Fonds de recherche du Québec et le Bureau de coopération interuniversitaire sont partenaires du Détecteur de rumeurs.

Auteur : Agence Science Presse – Pascal Lapointe

Une nouvelle étude sur l’hydroxychloroquine comme traitement contre la COVID fait parler d’elle sur les médias sociaux en français. À défaut de changer ce qu’on a appris depuis trois ans, est-elle plus solide que les études qui l’ont précédée ?

L’étude en question, co-signée par huit chercheurs de Marseille dont le microbiologiste Didier Raoult, n’est qu’une prépublication, ce qui signifie qu’elle n’a pas été révisée par d’autres experts, pour l’instant. Mais elle permet d’illustrer à quel point une étude sur un médicament doit tenir compte de nombreux paramètres avant qu’on puisse conclure que le médicament fonctionne.

Le travail porte sur 1276 patients hospitalisés entre mars 2020 et mars 2021 à l’Institut hospitalo-universitaire de Marseille (IHU) dont Didier Raoult était le directeur —et d’où il s’est fait connaître comme un défenseur indéfectible de ce médicament anti-malaria contre la COVID. La recherche s’est concentrée sur l’évolution de la « charge virale » de ces patients, c’est-à-dire qu’elle a tenté de mesurer si la quantité de coronavirus chez ces patients a diminué, ou non, grâce à l’hydroxychloroquine (HCQ). 776 de ces patients avaient été traités avec de l’HCQ, et 500 avec d’autres médicaments. La conclusion des auteurs est que l’élimination du virus (en anglais, viral clearance) aurait été atteinte « significativement plus tôt » dans le groupe avec HCQ.

D’emblée, cette étude arrive en retard: l’engouement face à ce médicament —que même Donald Trump avait vanté en mars 2020— a donné lieu en 2020 et 2021 à plus de 200 études cliniques dans des dizaines de pays qui, en grande majorité, ont conclu que le médicament n’avait pas d'effets pour réduire les cas graves de COVID ou les décès.

Cette étude ajoute-t-elle quelque chose de neuf ? En attendant qu’elle ait été formellement révisée par les pairs, c’est-à-dire par d’autres experts du domaine, elle a déjà fait l’objet de lectures informelles qui ont attiré l’attention sur certaines failles. La liste qui suit n’est pas exhaustive.

  • Sur les 2799 patients hospitalisés à l’IHU entre mars 2020 et mars 2021 et qui ont eu, en cours de route, un diagnostic de COVID, 1276 ont donc été retenus pour cette étude: il s’agit de ceux qui ont eu un test PCR positif (test visant à mesurer la charge virale chez le patient) « dans les 48 heures suivant leur admission ». Or, un premier problème est que le « jour zéro », c’est-à-dire le moment à partir duquel on a commencé à calculer si la charge virale diminue ou non, n’est pas le même pour les deux groupes. Pour les « patients sans HCQ », c’est le moment de leur admission à l’hôpital, alors que pour les patients « avec HCQ », c’est le moment du début du traitement, qui a pu survenir jusqu’à 48 heures plus tard. Cela donne un « avantage » aux patients avec HCQ : un pourcentage indéterminé était déjà d’un ou deux jours plus avancé sur la voie de la guérison avant que le traitement ne commence. Et comme le résultat de l’étude en faveur de l’HCQ est très faible, les critiques suggèrent déjà que ce facteur pourrait suffire à expliquer la différence.
  • Sur ce dernier point, on se rappelle qu’une des thèses des défenseurs de ce qu’en 2020, on appelait le « protocole Raoult », était que l’HCQ, pour être efficace, devait être administrée à des phases précoces de l’infection, alors que cette étude porte sur des patients hospitalisés, donc présumément infectés depuis des jours.
  • L’étude ne précise pas le nombre de jours pendant lesquels les doses d’HCQ ont été données.
  • Elle ne précise pas non plus la durée d’hospitalisation.
  • Comme l’étude a choisi d’écarter, sur les 2799 patients hospitalisés, plus de 1500 qui n’ont pas subi un deuxième test PCR après 10 jours, on ne peut que spéculer : s’agit-il de patients guéris ou de patients transférés dans un autre hôpital ? L’IHU n’a en effet pas d’unité de soins intensifs, ce qui veut dire qu’un patient dont l’état se détériore rapidement doit être transféré. Résultat, s’il y a des décès dans les groupes avec ou sans HCQ, ou même des patients transférés aux soins intensifs, ils n’apparaissent pas dans les tableaux.
  • C’est la charge virale nasale qui est mesurée (dans leur jargon, au niveau du « nasopharynx »). Or, les connaissances acquises sur la COVID depuis 2020 ont suggéré que la charge virale dans les poumons était au moins aussi importante pour expliquer les cas graves.
  • Le tableau 2, qui compare les groupes avec et sans HCQ, ne compte que trois variables: l’âge, la charge virale et le délai entre les premiers symptômes et le traitement. On n’a donc aucun moyen de savoir si les hommes s’en sont mieux tirés que les femmes, ou ceux souffrant de comorbidités, ou d’antécédents médicaux…
  • On constate toutefois par ce même tableau qu’il y a deux fois plus de patients de 80 ans et plus dans le groupe « sans HCQ » que dans le groupe « avec HCQ » (40,6% contre 22,8%). Comme c’est une étude dite observationnelle, ça n’est pas anormal : lors de telles études, les chercheurs doivent, littéralement, faire avec ce qu’ils ont. Mais comme on sait que les 80 ans et plus ont, en moyenne, un système immunitaire moins performant, ça biaise les résultats.
  • Les auteurs terminent par un bémol inhabituel. Alors que, traditionnellement, les chercheurs vont inclure, dans leurs conclusions, un paragraphe qui souligne les limites de leur étude, celui-ci se lit comme suit : « la faiblesse de cette étude » est que « l’efficacité du traitement est en partie due au fait qu’elle a été gérée par une équipe spécifique (…) et que la qualité générale de cette gestion et l’expérience des praticiens a probablement joué un rôle autant dans la conformité que dans l’évolution des patients traités. Cela signifie que les résultats peuvent être généralisés uniquement à des patients similaires ».

Tel que formulé, on pourrait croire que les auteurs se prémunissent contre la critique à l’effet que leurs résultats ne pourront pas être reproduits par d’autres chercheurs, sous le prétexte qu’il n’y a que dans leur institution que ces résultats auraient pu être obtenus.