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Des lettres familiales très révélatrices

En recherche, des archives familiales bien garnies sont une véritable caverne d’Ali Baba. Au Saguenay, ce type de trésor a récemment permis d’en connaître plus sur la façon dont la langue était employée au début du 20e siècle.

Sandrine Tailleur, chercheuse en sociolinguistique à l’Université du Québec à Chicoutimi, a eu accès aux archives de la famille Dubuc. Elle a utilisé plus de 2 000 pages manuscrites tirées de lettres écrites entre 1893 et 1929. La chercheuse y a notamment analysé le recours à l’anglais. Elle a découvert une dynamique linguistique complexe, révélatrice des rapports entre le français et l’anglais dans le Saguenay du début des années 1900.

À cette époque, la majorité de la population de cette région du Québec est francophone. Cependant, ce sont les familles anglophones qui détiennent le pouvoir économique et contrôlent les grandes industries. Les Dubuc forment une famille francophone assez aisée qui doit maîtriser les deux langues pour maintenir son statut social.

Même lorsqu’ils s’écrivent entre eux, il n’est pas rare que les membres de cette famille utilisent des mots ou des expressions anglaises. Les enfants ont une nourrice anglophone. L’une des jeunes filles ponctue d’ailleurs ses lettres de termes comme hugs and kisses. Les Dubuc usent aussi de vocables anglais à la mode, comme living room à la place de salon, shops à la place de magasins ou skating rink à la place de patinoire. Cela marque leur statut social.

En élargissant ses recherches à des corpus provenant du Centre-du-Québec et de l’Outaouais, Sandrine Tailleur et son équipe ont observé les mêmes dynamiques. Des familles francophones font alors usage de la langue comme outil de prestige social en naviguant entre le français québécois, le français « de France » et l’anglais, afin de préserver leur statut social élevé.

La chercheuse poursuit cette étude afin de déterminer l’influence que ces familles francophones aisées ont eue sur la manière dont le français se parle et s’écrit au Québec de nos jours.