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Détecteur de rumeurs

Ce qu’il faut savoir sur les changements climatiques, la violence et l’agressivité

Le Détecteur de rumeurs est produit par l'Agence Science-Presse, en partenariat avec
les Fonds de recherche du Québec et le Bureau de coopération interuniversitaire

Alors que notre planète se réchauffe, plusieurs craignent que les bouleversements climatiques deviennent un facteur déterminant dans l’apparition de nouveaux conflits armés. Jusqu’où la science appuie-t-elle cette idée? Le Détecteur de rumeurs s’est penché sur la question.

Origine de la rumeur

En 2007, Ban Ki-Moon, alors secrétaire général des Nations Unies, avait déclaré que la guerre au Soudan était le premier conflit créé par les changements climatiques. La théorie sous-jacente à cette affirmation était qu’en causant une sécheresse anormalement longue, le réchauffement planétaire aurait exacerbé là-bas les tensions ayant mené à la guerre civile.

En 2015, lors de la Conférence des Nations Unies sur le climat tenue à Paris, l'ancien président de la France, François Hollande, en rajoutait. Si on n’agissait pas pour tempérer l’ampleur des changements climatiques, disait-il, « ce qui [serait] en cause, c’est la paix. »

Or, de telles affirmations sont purement spéculatives : faute d’un recul suffisant, l’Histoire ne permet pas de démontrer que le réchauffement climatique a entraîné davantage de conflits armés. Mais la science permet de vérifier si, de façon générale, la violence et l’agressivité augmentent avec des changements de température.

Des statistiques convaincantes

Par exemple, trois chercheurs de l’Université Berkeley — Solomon Hsiang et Edward Miguel — et de Stanford — Marshall Burke — ont tenté de quantifier l’augmentation du risque de conflits induits par les changements climatiques. Leur méta-analyse ne s’intéressait toutefois pas aux conflits armés comme les guerres, mais à différentes situations pouvant résultat en des épisodes violents. Elle incluait une soixantaine d’études portant sur diverses violences interpersonnelles (agressions domestiques, viols, crimes avec une dimension violente, etc.) et sur des crimes entre groupes au sein d’un même territoire (des émeutes ou des guerres civiles, par exemple).

Leur conclusion fut sans équivoque. À travers une multitude de contextes, les événements climatiques qui s’écartent radicalement de la moyenne augmentent d’une manière statistiquement significative plusieurs des types de violences étudiés.

Selon eux, pour chaque déviation de la température au-delà de ce qui est considéré comme normal par rapport à la moyenne saisonnière, on perçoit un accroissement de 4 % des risques de violences interpersonnelles alors que les risques de conflits entre groupes augmentent de 14 %. Autrement dit, ces chercheurs ont pointé un lien entre une température inconfortable et l’agressivité des individus.

Le rôle particulier de la température

Ces études disent donc que les gens ont moins tendance à avoir une conduite belliqueuse lorsque la température est agréable (généralement autour de 20 degrés Celsius). Lors de températures plus inconfortables, l’humain deviendrait plus agressif.

Par exemple, une étude sur les crimes violents (assauts aggravés, homicides et crimes sexuels) commis à Dallas entre 1993 et 1999 démontre une hausse de ce type de méfaits les jours où il fait plus chaud. La recherche semble cependant montrer un plafond : ces crimes décroissent lorsque la température ambiante dépasse les 32 degrés Celsius. L’hypothèse avancée par les chercheurs est que dans ces conditions, les gens souhaitent tout simplement se mettre à l’abri.

D’autres scientifiques ont établi que des sujets soumis à des températures trop chaudes ou trop froides réagissent plus impulsivement à des stimuli négatifs. Ainsi, dans une expérience, on a placé des individus dans différentes pièces plus ou moins confortables (avec des températures avoisinant les 10, 20 ou 30 degrés Celsius). On leur demandait de réagir à une critique en infligeant une décharge électrique à la personne qui les critiquait. Les sujets placés dans des pièces trop chaudes ou trop froides percevaient les critiques plus négativement et administraient des décharges plus intenses à leur interlocuteur.

Ces écarts de température peuvent avoir des conséquences mortelles, y compris chez les policiers. Confrontés à un individu brandissant une barre à clous, des policiers néerlandais étaient beaucoup plus enclins à voir cet individu comme une menace lorsque le mercure était légèrement supérieur à 27 degrés Celsius. Dans ces conditions, ils dégainaient leur arme 85 % du temps, contre 59 % si la température était réglée à 21 degrés.

Guerres : beaucoup d’autres facteurs que le climat

Les trois chercheurs des universités Berkeley et Stanford se sont eux aussi intéressés à des travaux touchant la relation entre le climat et les conflits entre groupes. Mais le lien de cause à effet devient alors plus difficile à établir. Selon François Audet, directeur scientifique de l’Observatoire canadien sur les crises et l’aide humanitaire, il est évident que les changements climatiques exacerbent les tensions sociales. Mais de là à démontrer qu’ils conduisent à des guerres, il y a un grand pas que l’état de la recherche ne permet pas de franchir.

« Dans l’état présent de la science, on ne peut pas tirer un consensus clair, explique François Audet. Je pense qu’une majorité de chercheurs croient que les changements climatiques attisent les conflits, mais on n’a pas encore toutes les preuves pour l’affirmer hors de tout doute. »

« C’est le problème des méta-analyses, poursuit-il. Elles rassemblent les découvertes de plusieurs études, faites sur plusieurs périodes et dont les méthodologies diffèrent. Il est possible que le climat ait toujours été un facteur dans l’émergence de conflits, mais nous avions un biais qui nous forçait à l’ignorer. Avec l’avènement du réchauffement de la planète, on corrige la situation, mais c’est encore tôt pour en tirer des conclusions générales. »

D’autres facteurs, comme la mauvaise gouvernance, s’avèrent souvent plus décisifs dans la genèse des conflits que les conditions météorologiques, insistent plusieurs experts. « La destruction de récoltes est une arme de guerre. Le plus souvent, la famine est créée par un conflit et non l’inverse », précise en effet M. Audet.

Ainsi, même si plusieurs recherches nous portent à croire que le réchauffement climatique pourrait mettre en danger la paix dans plusieurs régions du monde, il est impossible pour le moment de l’affirmer hors de tout doute. Il vaut mieux analyser les causes de ces conflits à partir d’une grande variété de facteurs, dont peut faire partie le climat.

Charles Prémont

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