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Ce que cache le jeu…

Le monde du numérique a été un terreau fertile à l’éclosion de la ludification, ce processus par lequel on utilise la mécanique du jeu et l’état d’esprit qu’il induit chez les usagers pour amener ces derniers à atteindre certains objectifs.

L'utilisation détournée du jeu pose plusieurs enjeux éthiques, communicationnels et sociaux.

Apparue d’abord dans le commerce, par exemple avec les cartes de fidélité, qui permettent d’accumuler des points à chaque achat, la ludification s’est étendue notamment à l’éducation, au travail et à la santé. L’explosion des réseaux sociaux n’a fait que grossir ce phénomène. Cette utilisation détournée du jeu pose plusieurs enjeux éthiques, communicationnels et sociaux, comme le montrent les travaux de Maude Bonenfant, chercheuse au Département de communication sociale et publique de l’Université du Québec à Montréal.

Un certain type de ludification repose en effet sur une approche béhavioriste de l’être humain. Il vise à modifier les comportements en échange de récompenses matérielles (points, argent) ou immatérielles (approbation des autres, sentiment de réussite). Il impose toutefois toujours une norme, et donc, un modèle idéologique défini par les concepteurs des stratégies de ludification. Au travail, par exemple, des applications en apparence ludiques comme RepTivity ou DueProps placent les travailleurs en concurrence pour augmenter les ventes et la productivité. Elles favorisent ainsi la normalisation d’une vision du système économique centrée sur l’accumulation, l’efficience et la productivité.

De plus, dans l’univers numérique, le jeu sert souvent à garder les individus connectés afin qu’ils produisent des données qui s’avéreront fort utiles pour raffiner leur profilage. Les usagers sont aussi poussés à partager volontairement des informations en échange d’une application qui rend plus amusant un aspect de leur vie quotidienne. Cela donne lieu à la création d’outils de surveillance inédits, au sein desquels la gratification et le plaisir camouflent des rapports de pouvoir. Les travaux de Maude Bonenfant soulignent l’importance d’étudier ce phénomène en pleine expansion, afin d’identifier les dilemmes éthiques sous-jacents.