Auteur : Agence Science Presse - Pierre Sormany
Un tableau qui circule abondamment sur les réseaux sociaux rapportait, au début de novembre, un peu plus de 18 000 décès liés aux vaccins contre la Covid-19. Ce chiffre provient effectivement du Registre américain de signalement des complications vaccinales (Vaccine Adverse Event Reporting System, ou VAERS). Mais il faut comprendre la nature des chiffres rapportés pour interpréter correctement cette donnée. Le Détecteur de rumeurs explique.
L’origine de l’information
Créé en 1990 par les Centres américains de contrôle et de prévention des maladies (CDC) et l’Administration des aliments et drogues (FDA), le VAERS collige les « rapports d’événements » survenus à la suite d’une vaccination. Les professionnels de la santé sont en principe obligés de rapporter les événements dont ils ont eu connaissance, mais n’importe qui peut aussi contribuer à cette base de données. Enfin, les manufacturiers qui distribuent des vaccins aux États-Unis sont tenus d’y inscrire tous les effets secondaires graves rapportés à l’étranger.
Les responsables du VAERS avertissent d’emblée qu’il s’agit d’un système d’alerte reposant entièrement sur les fiches soumises par des tiers, et qu’il ne permet pas de confirmer si les effets rapportés sont bien liés à la vaccination.
Il peut être laborieux de naviguer dans les milliers de fiches du VAERS, et le site web ne publie pas de tableaux synthèse. C’est pourquoi un groupe de personnes non identifiées, mais disant avoir souffert de complications vaccinales ou dont les enfants en auraient été victimes, a développé le site Open VAERS pour rendre plus facilement accessible l’information sur les effets délétères des vaccins.
C’est de ce site que provient le chiffre des 18 000 décès. Leur tableau synthèse prend cette forme :
Le fait que l’équipe derrière le projet Open VAERS soit anonyme et remette en question l’innocuité des vaccins, doit inciter à la prudence. Toutefois, leur site décrit en détail la démarche utilisée pour construire leur tableau-synthèse, de sorte qu’on peut la vérifier.
1) Un chiffre gonflé par les données de l’étranger
Bien que le registre VAERS soit américain, les responsables d’Open VAERS ont inclus dans leur recherche les fiches de type FR (foreign reports, ou rapports de l’étranger): celles-ci proviennent des entreprises productrices de vaccins, qui sont obligées de rapporter tous les cas de décès ou de problèmes de santé graves portés à leur connaissance, ailleurs dans le monde.
Ces fiches comptent pour moins de 10% des données du VAERS, mais elles rapportent 60% des décès (ou environ 11 000). Or, pour ces fiches, le VAERS ne dispose pas de l’information nécessaire pour juger de la validité du rapport, ni du nombre total de doses vaccinales administrées dans les autres pays, ce qui permettrait de mesurer la fréquence des événements rapportés.
Pour évaluer le risque réel, mieux vaut donc s’en tenir aux fiches américaines qui faisaient état de 7193 décès, à la fin octobre.
2) Un décès après vaccination ne signifie pas que le vaccin a causé le décès
Le registre révèle donc que 7193 personnes seraient mortes cette année aux États-Unis après avoir été vaccinées… mais sans qu’on puisse présumer que le vaccin a été la cause du décès. Le site américain FactCheck a notamment trouvé dans les fiches du VAERS plusieurs cas de décès où le vaccin n’y était pour rien, dont un jeune qui s’était suicidé huit jours après avoir reçu le vaccin et une femme morte dans un accident d’auto deux semaines après la vaccination.
Rappelons ici que le taux de décès annuel aux États-Unis est d’environ 8700 personnes par million d’habitants, ce qui représente 167 morts par million d’habitants, à chaque semaine. Or, depuis décembre dernier, on a administré en moyenne près de 9 millions et demi de doses de vaccins contre la Covid par semaine. On devrait donc s’attendre, statistiquement, à ce qu’environ 1600 personnes nouvellement vaccinées meurent chaque semaine, toutes causes confondues.
De janvier à octobre 2021, ces « coïncidences » donneraient donc un total de près de 68 000 morts… et même beaucoup plus si on tient compte du fait que le taux de décès chez les personnes âgées est beaucoup plus élevé, et qu’elles sont plus nombreuses parmi les vaccinées, aux États-Unis.
3) Toutes les complications ne sont pas rapportées
Les responsables du site Open VAERS mentionnent, sur leur page d’accueil, qu’un rapport gouvernemental des années 2000 (le rapport Lazarus) aurait estimé que VAERS, parce qu’il est sur une base volontaire, ne rapporterait que 1% des cas de complications, donc que les données alarmantes de leur tableau ne seraient qu’une infime partie des complications réelles. Or, ce rapport ne fournit aucune donnée à l’appui de ce 1%, qui concerne surtout les complications mineures (fièvre passagère, douleur au bras, fatigue), très fréquentes mais ne conduisant presque jamais à une consultation médicale.
Se peut-il qu’on échappe aussi quelques complications plus graves, par manque de temps ou par négligence du personnel soignant? Probablement, mais il existe un second outil, le « Vaccine Safety Datalink » (VSD), qui met en commun de manière rétrospective les données de neuf institutions américaines de soins de santé, à partir de leurs registres médicaux. Ce travail nécessite de plus longs délais, mais c’est à partir du VSD qu’on peut vraiment comparer la fréquence d’une complication, et savoir si elle est survenue plus souvent après vaccination que dans une population équivalente non vaccinée. Pour des raisons de confidentialité, les données du VSD ne sont pas directement accessibles au public, mais de nombreux chercheurs peuvent y avoir accès.
Dans le cas de vaccins pour lesquels on a une expérience plus longue, les analyses du VSD ont effectivement montré que certains effets secondaires connus des vaccins (notamment les chocs anaphylactiques et le syndrome de Guillain-Barré) ont été sous-rapportés dans le VAERS, comme en témoigne cette recherche parue en 2020 dans la revue Vaccine. Mais cette sous-déclaration n’affecte pas les décès, surtout s’ils surviennent dans les deux semaines suivant une vaccination. En outre, comme l’explique Jean-François Cliche dans une chronique du quotidien Le Soleil, elle ne « signifie pas que des effets indésirables restent inconnus, juste qu’il faut plus de temps pour les déceler. »
4) Combien de décès sont vraiment liés aux vaccins ?
Pour soupçonner l’existence d’un lien de causalité, on doit non seulement comparer le total de 7193 décès à la mortalité qui serait attendue dans un même délai, en absence de vaccination, mais aussi regarder les fiches en détail pour voir s’il y a une « surmortalité » pour certaines complications spécifiques. C’est dans ces cas que les autorités sanitaires vont enquêter dans les dossiers médicaux du VSD.
Or, entre janvier et juillet 2021, seulement trois décès sur les 6207 qui étaient alors rapportés dans le VAERS ont pu être reliés directement à la vaccination. Et une étude récente des CDC a confirmé que, une fois pris en compte l’âge, le sexe, la race et l’ethnicité, il n’y a aucune hausse du risque de mortalité chez les personnes vaccinées aux États-Unis.
Verdict
Le tableau-synthèse publié sur le site Open VAERS provient bel et bien de la base de données du registre américain VAERS, mais le chiffre de plus de 18 000 décès inclut l’ensemble des cas rapportés à travers le monde. Et dans la quasi-totalité des cas, les études plus poussées ont montré qu’il n’existe pas de lien de cause à effet entre ces décès et l’administration des vaccins contre la Covid.