Auteur : Agence Science Presse - Pascal Lapointe
Les articles du Détecteur de rumeurs sont rédigés par des journalistes
scientifiques de l'Agence Science-Presse. Les Fonds de recherche du Québec et
le Bureau de coopération interuniversitaire sont partenaires du Détecteur de rumeurs.
Une demi-douzaine d’articles dans des médias québécois et canadiens ont présenté, en mai 2020 puis de nouveau le mois dernier, un médicament qui, testé en Alberta, serait à même de « révolutionner » le traitement du cancer. Le Détecteur de rumeurs rappelle pourquoi il faut être prudent avant d’utiliser le mot « révolutionnaire ».
L’origine de la rumeur
« Un nouveau médicament susceptible de révolutionner la vie des patients atteints d’un cancer sera testé en mai », pouvait-on lire le 29 janvier. Ce médicament, appelé PCLX-001, a été développé à l’Université de l’Alberta. « En plus d’avoir un effet contre la croissance des cellules du cancer du sein, des poumons et du colon, nous avons observé des effets spectaculaires contre la croissance des cellules du cancer du sang, y compris les leucémies et les lymphomes », disait le chercheur.
Le bémol
Le gros bémol, c’est que le médicament n’a été testé pour l’instant que sur des cellules en éprouvettes, et sur des souris. Or, il ne faut pas l’oublier, de 90% à 94% des recherches « précliniques » (menées sur des animaux ou sur des cellules en éprouvette) échouent lorsqu’elles arrivent au stade « clinique » (sur des humains). À l’évidence, un humain est davantage qu’une souris de 70 kilos (certains remettent même en doute le fait de continuer d’utiliser la souris comme « modèle »). Qui plus est, beaucoup d’études sur des souris sont menées sur de petits groupes, pendant de courtes périodes, à seules fins d’ouvrir des fenêtres sur d’éventuelles recherches plus élaborées.
Si les médias canadiens ont parlé du PCLX-001, en mai 2020, quand la recherche a obtenu du financement et en janvier 2021, quand l’université a publié un communiqué, on peut supposer que c’est en partie à cause du facteur de proximité: autrement dit, si ce médicament avait été testé dans un laboratoire de l’ouest des États-Unis plutôt que de l’ouest du Canada, il n’aurait peut-être pas bénéficié de la même attention ici.
Le Détecteur de rumeurs ne suggère pas d’éviter de parler d’un médicament expérimental tant qu’on n’a pas de résultats sur des humains. Mais il est important de dire au lecteur le plus tôt possible qu’il s’agit d’une recherche qui n’a été menée que sur des souris. À titre d’exemple, le reportage paru le 29 janvier ne le mentionnait qu’au 11e paragraphe. Certes, le titre disait « sera en essai clinique », mais on ignore quelle proportion des lecteurs savent que « essai clinique » est synonyme de « sur des humains ».
En anglais, un reportage diffusé le 20 janvier depuis Edmonton était titré « Un nouveau médicament qui pourrait traiter des formes agressives de cancer créé à l’Université de l’Alberta ». Il mentionnait par contre dès le 2e paragraphe que le médicament « doit commencer ses tests sur des humains plus tard cette année. »
Ces précautions oratoires sont liées au fait qu’on sait qu’une grande proportion des lecteurs de journaux ne lisent que le premier ou les premiers paragraphes d’un texte.
Par ailleurs, il n’était pas non plus précisé dans ces textes si les résultats encourageants en question avaient été publiés. Le communiqué de presse de l’université en fait état et donne un lien vers l’étude.
Le problème de l’emphase mise sur des résultats « encourageants » mais réalisés sur des souris seulement, préoccupe depuis longtemps des gens en science et en journalisme. En 2019, un compte Twitter baptisé « Just say in mice » a été créé à seule fin de pointer des reportages ou des messages Facebook ou Twitter, dont les auteurs oublient de signaler que telle ou telle étude ne porte que sur des rongeurs.
Ce problème n’est pas propre aux journalistes: « j'ai observé des scientifiques éprouvant eux-mêmes des difficultés à parler du lien entre souris et humains dans leurs propres expériences. », écrivait Nicole Nelson, de l’École de médecine et de santé publique de l’Université du Wisconsin, en commentant l’initiative « Just say in mice ». Le compte Twitter a aujourd’hui 70 000 abonnés.