Auteur : Agence Science Presse - Catherine Couturier
Les articles du Détecteur de rumeurs sont rédigés par des journalistes
scientifiques de l'Agence Science-Presse. Les Fonds de recherche du Québec et
le Bureau de coopération interuniversitaire sont partenaires du Détecteur de rumeurs.
Des vidéos montrant de minuscules « vers » sur des masques ou sur des tests de dépistage ont largement circulé sur les médias sociaux. La rumeur a été plusieurs fois démentie. Pour sa part, le Détecteur de rumeurs s’est demandé d’où provient cette idée de petites bêtes appelées morgellons.
La rumeur récente
Plusieurs vidéos maison ont en effet circulé à travers le monde ces dernières semaines, montrant des « vers » ou des « parasites » bougeant à la surface de masques de procédures ou sur des tiges utilisées lors des tests de dépistage. Au Québec comme en France et en Allemagne, cette idée a été démentie : on a plutôt affaire à des fibres, des poils ou autres impuretés, qui bougent sous l’effet de l’air ou de l’électricité statique. Un organisme vivant ne peut survivre sur un masque de plastique, sans nourriture ni eau.
Dans certaines publications, ces choses étaient identifiées comme des « morgellons ». Or, l’existence d’un organisme appelé le morgellon n’est pas reconnue par la biologie. L’idée d’un tel parasite ou ver de nature inconnue court pourtant depuis longtemps.
L’origine du mot
Le mot « morgellons » remonte au 17e siècle; il aurait été utilisé pour la première fois en 1674 par le médecin anglais Sir Thomas Browne. Celui-ci voulait décrire une maladie infantile présente dans le Languedoc, en France. En 1935, le médecin anglais C.E. Kellett redécouvre les écrits de Browne et cherche à identifier cette maladie ; il lui donne le nom de morgellons. La maladie est à nouveau évoquée en 1946 dans le British Medical Journal pour faire référence à une infestation cutanée, mais le terme tombe ensuite dans l’oubli.
Résurgence
En 2001, l’Américaine Mary Leito veut connaître la cause d’un problème de peau de son fils, qui se plaint de sentir des « insectes » (bugs) sous sa peau. Elle redécouvre le terme « morgellons » au fil de ses recherches, terme qu’elle utilisera pour s’adresser aux médecins et aux politiciens, alors qu’elle milite pour faire reconnaître cette « maladie ». C’est donc à cette époque récente que le terme réapparaît: un article paru en 2009 dans le Clinical Microbiology Review situe en 2002 la date d’émergence du « phénomène » morgellons.
Après avoir lancé un site internet décrivant les symptômes de son fils, Mme Leito mettra sur pied la Fondation pour la recherche sur les morgellons (MFR). Depuis, 14 000 familles se seraient inscrites auprès de la MFR et auraient rapporté des symptômes similaires. Pourtant, en-dehors de la MFR, la majorité des experts rejettent l’idée que les morgellons soient une nouvelle maladie infectieuse.
En 2012, le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC), répondant à des pressions du public et au lobbying de la MFR, mène une vaste étude sur le sujet. Celle-ci conclut qu’il n’existe aucun indice que cette « maladie » ait une cause infectieuse ou environnementale. Les fibres retrouvées par les patients étaient, à tous les coups, des fibres de cotons, qui provenaient probablement des vêtements.
Des causes et des maladies de leur temps
Certes, les personnes identifiées comme victime des morgellons montrent des lésions cutanées véritables, mais elles sont pour la plupart caractéristiques des lésions associées à un « grattage » compulsif. Or, soit ce comportement fait suite à un déclencheur naturel comme une surexposition au soleil ou une piqure d’insecte, soit il n’est associé à aucune cause dermatologique: on parle alors d’un « délire parasitaire », c’est-à-dire une maladie d’origine psychologique, comme le syndrome d’Ekbohm, où les patients se croient infectés de parasites.
Quoiqu’il en soit, ce n’est pas d’hier que des patients rapportent être infestés par quelque chose qui provoque des démangeaisons. Par exemple, à la fin du 19e siècle, les patients avaient peur d’avoir la gale (le mal était alors nommé acarophobie). Que ce soit la peur d’un insecte ou d’un petit animal —qui est toujours trop petit pour pouvoir être clairement vu à l’œil nu— l’interprétation qu’on donne à ce type de maladie ou de lésion de la peau est fortement influencé par l’époque, l’avancée des connaissances scientifiques, les films, et aujourd’hui Internet. Ainsi, plus récemment, les morgellons ont été liés à plusieurs causes dans la sphère complotiste : chemtrails, OGM, nanotechnologies, extraterrestres, bioterrorisme...
Grâce à internet également, la prévalence de cette maladie s’est étendue des États-Unis à l’Europe (2007), puis en Inde (2016) et en Corée (2017).
Verdict
Même si la souffrance physique ou psychologique des patients ne fait aucun doute, les « morgellons » ne sont non seulement pas reconnus comme une maladie infectieuse, mais ils s’inscrivent dans une série d’inquiétudes semblables qui ont connu des noms différents à travers les générations.