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Détecteur de rumeurs

Job automation: 5 myths (French version only)

Les articles du Détecteur de rumeurs sont rédigés par des journalistes
scientifiques de l'Agence Science-Presse. Les Fonds de recherche du Québec et
le Bureau de coopération interuniversitaire sont partenaires du Détecteur de rumeurs.

Auteur : Agence Science Presse - Stéphane Desjardins

L’automatisation signifie l’élimination d’emplois, remplacés par des robots ou des technologies nouvelles, comme l’intelligence artificielle. Une solution à la crise de la main-d’œuvre? Ou une nouvelle nuée de chômeurs à l’horizon? Le Détecteur de rumeurs constate que personne ne semble pouvoir affirmer avec certitude à quel rythme ça va se produire et quels secteurs de l’économie seront davantage affectés.

Faits à retenir:
Il est très difficile de prévoir quels emplois seront automatisés et quand
Les façons de calculer varient beaucoup d’une étude à l’autre
L’automatisation crée aussi des emplois qui n’existaient pas auparavant

1) Une majorité d’emplois à risque d’être automatisés ? Faux

En 2016, 10,6% des travailleurs canadiens présentaient un risque élevé (probabilité de 70% ou plus) de voir leur emploi automatisé, et 29,1%, un « risque modéré » (probabilité de 50% à 70%), selon Statistique Canada. L’agence ne donne pas d’horizon temporel.

Ce rapport précisait que certaines catégories de travailleurs étaient plus à risque que d’autres, notamment les 55 ans et plus, qui n’avaient pas de diplôme post-secondaire dans certains domaines, qui présentaient une faible littératie ou numératie, un faible revenu d’emploi ou qui travaillaient dans la fabrication.

Mais l’estimation du niveau de risque varie selon la méthodologie utilisée et l’horizon temporel estimé. Ainsi, selon une étude de CD Howe de 2017, si les emplois très vulnérables à l’automatisation représentent 35% des emplois au Canada, il est peu probable que ces emplois disparaissent complètement au cours des prochaines années. Et les secteurs d’emploi où plus des trois quarts des employés sont à haut risque d’être rem-placés par des machines, ne représenteraient que 1,7% des emplois au pays (soit 310 000 postes).

Même la transformation des emplois les plus à risque n’est pas nécessairement imminente, selon l’économiste Jim Stafford, de l’Université McMaster. La faiblesse des investissements technologiques des entreprises, le manque d’acceptabilité sociale, les barrières liées à la sécurité du travail et au respect de la vie privée, les infrastructures mal adaptées et la requalification insuffisante des travailleurs, représentent des barrières aux transformations technologiques, écrivait Jim Stafford dans un rapport de janvier 2000 commandé par le Forum des politiques publiques.

Ainsi, dans un secteur clé comme l’informatique, l’investissement stagne depuis l’éclatement de la bulle internet en 2000. Il était passé de 1,6% du PIB américain en 1980 à environ 4% en 2000, seuil où il est toujours, selon la firme BSI Economics : elle y voit un signe d’un certain plafonnement de la robotisation.

2) On peut prévoir l’automatisation ? Faux

En 2018, l’OCDE estimait que 9,2% des emplois étaient, dès maintenant, complètement « automatisables » dans ses 21 pays membres. Mais là encore, tout dépendant de la méthodologie, les chiffres peuvent varier considérablement. Ainsi, au Canada, 42% des travailleurs seraient menacés par l’automatisation d’ici 10 à 20 ans, selon une étude de 2016 du Brookfield Institute.

C’est un peu plus clair si on analyse par catégories d’emplois. Dans son Bilan de l’emploi 2021, l’Institut du Québec (IQ) estime que si le travail manuel ou cognitif routinier est plus à risque, les emplois non routiniers le sont beaucoup moins, notamment ceux qui exigent de la dextérité manuelle, des capacités d’analyse non standardisée, de l’improvisation, de la créativité, des aptitudes sociales ou de l’empathie…

La firme de consultants en marketing Forrester Research affirmait en 2016 que les préposés au service à la clientèle et les chauffeurs de taxi seraient bientôt des espèces en voie de disparition.

« Chez nous, certains estiment que l’automatisation frappera avant tout les ressources naturelles et l’agriculture, commente Éric Noël, de l’École de politiques publiques de l’Université de Calgary. Mais ces secteurs représentent à peine 2,3% de l’emploi au pays. »

Le bilan 2021 de l’IQ, supervisé par M. Noël, précise qu’il n’est pas facile de calculer l’automatisation des emplois, car les nombreuses études présentent toutes des failles dans leurs estimations du taux de remplacement humains/machines. « Les chercheurs sous-estiment ou surestiment les technologies, les travailleurs et la perméabilité des organisations aux changements », écrit l’organisme, qui donne l’exemple des camionneurs: ils sont menacés par le développement du transport autonome mais pourtant, à ce jour, aucun capteur n’offre une performance optimale en conditions hivernales.

« Dans le commerce de détail, commente Alain Bélanger, professeur titulaire à l’INRS, peut-être que les robots rempliront bientôt les tablettes de supermarchés, où on trouve déjà des caisses automatisées. Mais un robot ne pourra jamais vous aider à choisir un veston… »

« Les changements dans le marché de l’emploi ne sont souvent pas là où on le croit », explique Robert Gagné, du département d’économie appliquée de HEC Montréal. « Je vois mal comment on automatisera les travailleurs d’un Tim Hortons ou les préposés d’un CHSLD. »

3) Les emplois automatisés sont des emplois perdus à jamais ? Pas sûr

Une étude de 2013 de deux chercheurs de l’Université Oxford, qui fait école chez les experts québécois, signalait que 47% des emplois américains risquaient d’être entièrement ou partiellement automatisés d’ici 2033. Toutefois, en 2021, dans la revue Societies, l’un des deux auteurs, Carl Benedikt Frey, relativisait ses conclusions : des études subséquentes indiquaient que l’automatisation qu’il entrevoyait aurait peu d’impact sur le taux d’activité, puisque les travailleurs réussissaient à se reclasser en améliorant leurs compétences.

L’automatisation créera en effet de nombreux emplois dans des secteurs qui n’existent pas aujourd’hui. L’IQ donne des exemples : réparateurs de robots domestiques, de systèmes domotiques ou de télématique pour véhicules autonomes, programmateurs-psychologues d’intelligence émotionnelle artificielle, avocats spécialisés en intelligence artificielle pour les dossiers de défense en cyberstimulation tactile, superviseurs-correcteurs en systèmes automatisés, experts en cybersécurité appliquée aux objets connectés, techniciens en entreposage de données hyperspectrales, etc.

« On a tendance à exagérer la sophistication des futurs emplois technologiques, même pour les travailleurs qui ne détiennent pas un baccalauréat en informatique, commente Éric Noël. Nombre de ces emplois seront comblés par les travailleurs qui se formeront en conséquence. » Selon lui, les 10 ou 20 emplois les plus populaires dans dix ans n’existent pas encore.

Dans certains secteurs, l’automatisation est inévitable : « Je ne vois pas pourquoi on devrait s’inquiéter que la cueillette de fraises de l’île d’Orléans se fasse par des robots : nous manquons déjà de travailleurs agricoles », souligne-t-il.

4) Les sans-diplômes sont davantage menacés ? Faux

Certes, plus les travailleurs sont instruits —et jeunes— moins ils sont à risque d’être affectés par l’automatisation des emplois. Mais le diplôme ne fait pas foi de tout.

L’automatisation affectera ainsi davantage le personnel de bureau que celui de la res-tauration ou de l’agriculture. Les postes suivants seraient particulièrement à risque de transformation, selon une publication de 2020 de Statistique Canada déjà citée : récep-tionniste (35,7%), tailleur, cordonnier, superviseur en services alimentaires (20%), électricien (19,7%), représentant de commerce (14,7%), agent de voyage ou de sécurité, représentant au service à la clientèle (13,7%), opérateur d’équipement (13,2%). Les sec-teurs de la fabrication, de la restauration et de l’hébergement, du transport et de l’entreposage, du commerce, de la santé et de la construction, sont les plus à risque d’être affectés par l’automatisation, selon Statistique Canada.

Plusieurs activités seront peu ou pas affectées, comme la finance et l’assurance, signale également l’agence. Mais ce n’est jamais noir ou blanc : l’IQ offre l’exemple de l’explosion des startup québécoises en fintech, qui menacent le secteur de la finance, principalement les conseillers financiers, les souscripteurs d’assurances et les activités de prêts. L’IQ estime, dans son Bilan 2021, que 37 000 postes sont ainsi menacés dans ces secteurs au Québec. Encore qu’un certain nombre de ces travailleurs seront reclas-sés grâce aux activités liées aux nouvelles technologies déployées par les fintech ou les institutions financières.

5) La Grande Démission se produit aussi au Québec ? Faux

On appelle « Grande Démission » (ou Great Resignation) ces millions de travailleurs américains ayant récemment quitté le marché du travail. Le phénomène serait exacerbé par la pandémie. Le New York Times publiait en décembre 2021 qu’environ 3% des travailleurs américains, soit 4,3 millions de personnes, avaient abandonné leur emploi l’an dernier. En novembre, il manquait cinq millions de travailleurs pour revenir au niveau d’activité prépandémique, rappelait le chroniqueur et Nobel d'économie Paul Krugman dans ce journal.

Citant l’économiste du monde du travail Arindrajitt Dube, Krugman estime que ces millions de travailleurs ont tout simplement abandonné des emplois parce que la pandémie leur aurait fait réaliser qu’ils étaient mal payés ou avaient des conditions de travail exé-crables, surtout chez les cols bleus. Nombreux sont ceux qui en ont profité pour prendre une retraite anticipée. L’automatisation n’aurait donc rien à voir avec ce phénomène.

Or, la Grande Démission serait un phénomène inconnu au Québec. « Il n’y a pas eu d’augmentation significative des bénéficiaires de la Régie des rentes du Québec en 2020 et 2021, affirme Mia Homsy, PDG de l’Institut du Québec. Et les enquêtes sur les changements d’emplois au sein de la population active démontrent une stabilité cer-taine chez ceux qui déclarent avoir pris leur retraite ou changé d’employeur. »

Ainsi, en décembre 2021, le taux de changement d’emploi (qui quantifie le nombre de travailleurs qui changent d’employeur) s’établissait à 0,63%, soit moins qu’avant la pan-démie, selon le Bilan de l’emploi 2021 de l’IQ. « Quand on regarde l’ensemble du mar-ché du travail, les taux d’activités sont historiquement élevés, notamment chez les femmes et les travailleurs plus âgés », reprend Mme Homsy.