Auteur : Agence Science Presse - Jonathan Jarry
Les articles du Détecteur de rumeurs sont rédigés par des journalistes
scientifiques de l'Agence Science-Presse. Les Fonds de recherche du Québec et
le Bureau de coopération interuniversitaire sont partenaires du Détecteur de rumeurs.
Il y avait tout d’abord eu, il y a une dizaine d’années, ces compagnies qui, à partir de nos gènes, se livraient à des diagnostics médicaux hasardeux. Puis, celles qui promettaient de révéler les pays de nos ancêtres. À présent, elles prétendent pouvoir révéler notre « vrai » âge biologique. Le Détecteur de rumeurs et l’OSS ont des doutes.
Faits à retenir:
- Les progrès de la génomique nous dirigent vers des indices qui, dans notre ADN, révéleraient notre âge
- C’est une science encore très jeune avec beaucoup de données contradictoires
- Les vendeurs sont beaucoup plus fermes que la science dans leurs conclusions
La génomique, qui est la science qui étudie l’ensemble de notre matériel génétique, n’a pas mis de temps à être récupérée par toutes sortes d’entrepreneurs, des plus sérieux aux plus douteux. Il était inévitable qu’un grand nombre de personnes soient prêtes à payer pour savoir jusqu’à quel point leurs gènes les mettent à risque d’un problème cardiaque, d’un cancer ou d’une autre maladie. Mais d’autres promesses s’y greffent à présent: des compagnies offrent des trousses d’analyse qui évaluent le « véritable âge » de notre corps en mesurant des marqueurs spécifiques sur nos gènes qui sont modifiés par notre environnement et notre comportement. En nous révélant notre âge biologique, ces évaluations prétendent livrer des conseils de santé personnalisés.
L’origine des promesses
Ces trousses, qui requièrent de l’acheteur un échantillon de salive (ou parfois, de sang ou d’urine), reposent sur le concept d’épigénétique, une branche bien établie de la génomique. L’épigénétique est l’étude de la régulation de notre ADN. « Régulation » est une référence au fait que certains de nos gènes sont là pour produire des protéines, mais que notre corps peut arrêter temporairement ce processus, principalement par l’entremise d’un mécanisme appelé la méthylation. Celle-ci peut rendre un gène inactif. Et la configuration de ce qu’on appelle les groupes méthyles, à travers notre ADN, change continuellement. L’alcool peut contribuer à ces changements, mais aussi un emploi stressant ou tout autre facteur environnemental.
Les recherches en épigénétique de la dernière décennie ont abouti à la découverte d’un nombre grandissant d’«horloges épigénétiques ». Le mot « horloge » est ici une métaphore : il s’agit dans les faits d’un nombre spécifique d’endroits sur l’ADN où les changements dans les marqueurs épigénétiques (comme les groupes méthyles) sont en lien avec l’âge. Par exemple, un groupe d’individus de 50 ans partagerait essentiellement la même configuration de marqueurs épigénétiques à ces endroits. Un autre groupe de 70 ans, aurait une configuration différente. Si on déchiffrait le code, on en déduirait, en théorie, l’âge de la personne.
Les spécialistes en sciences médico-légales pourront peut-être ainsi, un jour, avoir un nouvel outil afin d’évaluer l’âge d’un cadavre. Il y a même des applications possibles en immigration, pour vérifier l’âge d’un demandeur.
Mais comme nous connaissons à peu près tous notre âge, quel est l’avantage de vendre cette technologie aux consommateurs?
Une hypothèse étudiée par plusieurs experts est que cet « âge biologique », révélé par nos marqueurs épigénétiques, différerait de notre âge « chronologique », par exemple à mesure que notre corps combat certaines maladies. Autrement dit, notre espérance de vie serait peut-être plus courte (ou plus longue !) que ce que révèlent nos anniversaires.
Ce n’est qu’une hypothèse, et les données sont encore maigres. Mais des entrepreneurs ont flairé l’opportunité. Les trousses épigénétiques vendues directement aux consommateurs prétendent donc pouvoir dire si notre corps vieillit plus vite qu’il ne le devrait (à cause du stress, d’une surconsommation d’alcool, d’une exposition chronique à la fumée de cigarettes, etc.) et quoi faire pour renverser la flèche du temps.
Les faits
Mais la science est loin d’être aussi ferme dans ses conclusions. Un article de synthèse publié en 2020 a recensé des réponses contradictoires quant aux conditions qui auraient un impact sur ces fameuses « horloges ». Une autre synthèse de 2017 rapportait que l’une des horloges les plus fiables n’était pas influencée par la consommation d’alcool, le tabagisme, le diabète et l’hypertension.
Cette incertitude scientifique est rarement visible lorsqu’on visite les sites web des compagnies. Plusieurs recommandent même de leur soumettre un nouveau test tous les six à 12 mois, afin de voir si nos nouvelles habitudes ont eu un impact sur notre horloge épigénétique.
Pour la Pr. Meaghan J. Jones, du département de biochimie et de génétique médicale de l’Université du Manitoba, l’idée qu’on puisse renverser notre véritable âge biologique est problématique. «On ne sait vraiment, vraiment pas ce que l’âge mesuré par l’épigénétique veut véritablement dire.»
Qui plus est, les recommandations majeures de ces kits sont de l’ordre de « cessez de fumer », « changez votre alimentation » et « faites de l’exercice ».
Le fait que ces recommandations proviennent d’un test génétique pourrait-il avoir plus d’impact ? La chose a été testée: des études démontrent que la présentation de données génétiques n’a qu’un effet à court terme sur le renoncement à la cigarette et que cet effet disparaît dans l’année qui suit. Une synthèse des recherches publiée en 2016 ne rapporte aucun effet significatif sur la cessation du tabagisme, sur les habitudes alimentaires ou sur l’activité physique, et aucun effet sur la consommation d’alcool, l’utilisation de médicaments ou les mesures de protection solaire.
Les compagnies précisent évidemment que ces kits n’ont pas été révisés ou approuvés par les autorités de la santé et qu’ils ne doivent pas être utilisés pour diagnostiquer ou traiter une maladie. Les prix varient de 300 à 700 $ US.