Auteur : Agence Science Presse - Cet article est une adaptation du texte en anglais de Jonathan Jarry
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scientifiques de l'Agence Science-Presse. Les Fonds de recherche du Québec et
le Bureau de coopération interuniversitaire sont partenaires du Détecteur de rumeurs.
Les lingettes jetables dans les toilettes peuvent-elles vraiment être jetées dans les toilettes? Le Détecteur de rumeurs et l’Organisation pour la science et la société constatent qu’il y a de grosses raisons d’en douter.
En anglais, le terme est encore plus fort: on parle de lingettes « flushable » ce qui suggère qu’elles pourraient être évacuées sans danger dans la cuvette.
Une rapide recherche Google révèle toutefois que plusieurs médias, en anglais et en français, remettent régulièrement cette affirmation en doute depuis des années.
La composition des lingettes
Les lingettes jetables dans les toilettes sont principalement faites de pâte à papier qui peut être traitée de multiples façons afin d’être renforcée: par exemple, grâce à l’utilisation de certains polymères comme des liants et à la création de tissus de soutien par l’ajout de fibres. Le papier de toilette, lui, est créé autrement. On cuit des petits bouts de bois avec certains produits chimiques, ce qui résulte en une pâte de bois qui, combinée à de l’eau, donne la base du papier.
Il existe plusieurs préoccupations environnementales quant à l’utilisation de ces lingettes présumément « jetables dans les toilettes ». En tête de liste, le souci que les matières plastiques qu’elles contiennent se retrouvent dans les cours d’eau. Car il y a bel et bien du plastique : bien que les fabricants ne révèlent généralement pas la composition de leurs lingettes, une étude britannique a comparé en 2018 six lingettes « jetables dans les toilettes » avec sept qui ne sont pas censées l’être. Le polyester, une fibre synthétique provenant du pétrole, a été détecté dans toutes les lingettes non jetables dans les toilettes, alors que du côté de certaines lingettes « flushables », on retrouvait des matières plastiques comme le polyéthylène haute densité. Ces matériaux synthétiques, qui sont supposément ajoutés aux lingettes pour les rendre plus durables, peuvent se décomposer en microplastiques qui polluent l’environnement et peuvent potentiellement avoir un effet sur la santé des animaux et des humains.
Au final, qu’est-ce qui distingue donc ces lingettes « jetables » de celles qui ne le sont pas? Pas grand-chose. Selon une analyse menée en 2019 sur 58 types de lingettes provenant d’un peu partout dans le monde, jetables et non jetables étaient similaires en termes d’épaisseur, de volume, de poids et de réaction à l’humidité. Les auteurs concluaient que leurs résultats appuyaient l’idée d’une absence de différence entre les différents types de lingettes.
Un autre problème est que les normes permettant de définir ce qui peut être évacué par les toilettes (l’indice de « flushabilité ») sont floues. En 2019, une équipe de l’Université Ryerson, à Toronto, a testé à ce sujet 101 produits disponibles dans le sud de l’Ontario (incluant des lingettes et du papier de toilette), la moitié de ces produits étant vendus comme jetables dans les toilettes. Un critère choisi par les chercheurs était la dispersibilité, c’est-à-dire la vitesse à laquelle un produit se décompose —une condition importante pour éviter que les tuyaux se bouchent. Seulement 11 des 101 produits se sont complètement désintégrés, et ils étaient tous des papiers de toilette. Les lingettes nettoyantes et les lingettes pour bébé ne semblaient pas se désintégrer dans la toilette.
Lors de ce test, on devait tirer la chasse d’eau (une toilette spécialement conçue en laboratoire) en moyenne moins de deux fois pour se débarrasser complètement du papier de toilette. Pour les lingettes nettoyantes, on tirait la chasse quatre fois, et parfois plus de cinq fois pour certaines lingettes pour bébé. Les chercheurs ont conclu qu’à part le bon vieux papier de toilette, aucun des autres produits ne devrait se retrouver dans la cuvette.
Un problème économique
On rapporte que les villes canadiennes devraient débourser des centaines de millions de dollars chaque année pour se débarrasser d’obstructions principalement causées par des lingettes. C’est que ces fameuses lingettes peuvent absorber dans les égouts du sable, de l’argile, des résidus alimentaires et d’autres produits, ce qui fait en sorte que les eaux usées deviennent des déchets solides. Ces amas portent même un nom en anglais : « fatbergs ».
Des lingettes qui se désintègrent aussi bien que le papier hygiénique existent, selon des experts, mais elles ne sont pas encore en vente en Amérique du Nord. Pour l’instant, on recommande de jeter les lingettes à la poubelle. Dans quelques années toutefois, il n’est pas impossible qu’on puisse finalement les jeter dans les toilettes sans contribuer à la formation de ces fatbergs.