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Auteur : Agence Science Presse - Pascal Lapointe
Les craintes qu’une éclipse soit annonciatrice d’une grande catastrophe appartiennent à un lointain passé? Faux, constate le Détecteur de rumeurs.
Le contexte
À travers l’histoire des différentes civilisations, les éclipses solaires ont donné lieu à toutes sortes d’interprétations, souvent funestes : devant la disparition en apparence terrifiante du Soleil, nombreux étaient ceux qui voulaient y voir le signe d’un événement grave à venir.
Les anciens Babyloniens, il y a 3000 à 4000 ans, voyaient par exemple dans une éclipse un mauvais présage pour leurs rois. De nombreux récits, de la Chine jusqu’à l’Europe, associent l’éclipse à une guerre ou au décès d’un grand chef. Une exception notable: selon l’historien grec de l’Antiquité Hérodote, une éclipse survenue en l’an 585 avant notre ère, là où est aujourd’hui la Turquie, aurait tellement impressionné les deux armées ennemies, que celles-ci auraient immédiatement décidé de faire la paix.
Certains observateurs du ciel n’ont toutefois pas attendu les temps modernes pour analyser une éclipse de façon rationnelle, relate l’astronome californien Tyler Nordgren dans son ouvrage Sun, Moon, Earth : the History of Solar Eclipses (2016). Le philosophe grec Anaxagore serait le premier, il y a 2500 ans, à avoir déduit d’une éclipse solaire que la Lune était plus près de la Terre que ne l’était le Soleil: l’assombrissement n’était donc rien d’autre que l’ombre de la Lune passant au-dessus de nos têtes.
De cette déduction en découlaient deux autres: le Soleil était beaucoup plus gros que la Lune; et si on était un jour capable de mesurer le diamètre de l’ombre de la Lune, on pourrait calculer la distance Terre-Lune. Un calcul que, selon les historiens, aurait réalisé trois siècles plus tard l’astronome Hipparque de Nicée. Les éclipses étaient devenues, du coup, un banal problème de géométrie.
Aujourd’hui
Il peut donc sembler étonnant qu’au 21e siècle, les éclipses solaires continuent d’être accompagnées de récits alarmistes, voire apocalyptiques. Celle du 8 avril 2024 ne fait pas exception.
Plusieurs vidéos sur TikTok affirment par exemple avoir découvert la « preuve » que cette éclipse annonce, selon les uns, la « fin des temps », et selon les autres, quelque chose de très grave sur le point de se produire aux États-Unis —puisque ce pays aura droit au plus gros de la « zone de totalité », c’est-à-dire la trajectoire de l’éclipse totale: une bande de terre de moins de 200 km de large où le Soleil sera complètement caché par la Lune.
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L’une des théories qui circule abondamment est que ce « parcours » passe par huit villes (sept aux États-Unis, une en Nouvelle-Écosse) appelées « Ninive » (en anglais, Nineveh). Le fait qu’il y ait aussi une ville de ce nom dans la Bible serait annonciateur d’une catastrophe imminente, assure-t-on.
Ce qui est faux dans cette théorie: en réalité, comme le note le site américain de vérification des faits Lead Stories, le parcours de totalité ne survole que deux de ces villes. Les autres ne vivront qu’une éclipse partielle. Il faut aussi se rappeler qu’une éclipse n’est « totale » que là où la Lune cache complètement le Soleil, soit uniquement à l’intérieur de cette zone. Même là où le Soleil est caché à 99%, on parle d’une éclipse partielle, et la luminosité, au moment critique, demeure notablement plus élevée que dans la zone de totalité.
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Une variante de cette théorie des huit villes est que, si on superpose les parcours des éclipses totales du 8 avril 2024 et du 21 août 2017 —la plus récente aux États-Unis— cela donne quelque chose qui ressemble à un X. Une occurrence qui, prétend « Kela » dans sa vidéo vue 7 millions de fois et demi sur TikTok, « ne serait jamais arrivée auparavant aux États-Unis ».
Ce qui est faux dans cette théorie: en réalité, comme il y a en moyenne une éclipse solaire totale par 18 mois (on en recense 71 au 20e siècle, dont 18 aux États-Unis), il suffit d’en superposer quelques-unes sur une carte géographique pour obtenir des dessins intrigants.
(Source)
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D’autres rumeurs font intervenir une comète dans l’histoire. Découverte en 1812, la comète 12P/Pons-Brooks revient dans notre région du système solaire tous les 71 ans. Le 21 avril, elle sera à son point le plus rapproché du Soleil (le périhélie), ce qui veut dire qu’elle sera déjà visible dans le ciel le jour de l’éclipse. Pour certains « influenceurs », il ne s’agit pas d’une coïncidence: cette comète va heurter la Terre. Il est possible que la rumeur ait aussi été alimentée par le fait que la comète a reçu, en juillet 2023, le surnom « comète du diable » (Devil’s Comet) en raison des photos de ses jets de gaz et de poussière qui lui donnaient vaguement l’apparence d’une tête avec deux cornes.
Ce qui est faux dans cette théorie: parce qu’on la connaît depuis 300 ans, on peut prédire avec précision la trajectoire de cette comète. Elle passera à 232 millions de km de la Terre (c’est environ 500 fois plus loin que la Lune).
Les éclipses de 2017 et de 1999
Lors de l’éclipse de 2017, plutôt qu’une comète, l’auteur David Meade avait invoqué la « planète Nibiru » ou « Planète X », censée —elle aussi— entrer en collision avec la Terre. Nibiru est une planète mythique qui tournerait autour du Soleil en 3600 ans et qui, à chacun de ses « retours » dans nos parages, occasionnerait des catastrophes (on l’avait aussi invoquée autour des peurs de la fin du monde des Mayas, en 2012). Dans son livre Planet X: The 2017 Arrival, Meade avait prédit le 23 septembre 2017 comme jour de la catastrophe: soit 33 jours après l’éclipse… parce que, selon lui, le chiffre 33 revient souvent dans la Bible.
Ce qui est faux dans cette théorie: considérant qu’on peut détecter des astéroïdes et des comètes à des milliards de kilomètres, une planète ne passerait pas inaperçue dans les télescopes.
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Le pasteur australien Steve Cioccolanti est l’un de ceux pour qui la « grande éclipse solaire américaine » du 21 août 2017 était « un signe confirmé de la fin des temps » —comme en témoignaient les ouragans « de Houston, de Floride et de Porto Rico ». Pour en savoir plus, on pouvait se procurer les 3 DVD de sa conférence… pour la modique somme de 15 dollars.
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En 1999, le couturier français Paco Rabanne avait prédit que la station spatiale russe, appelée Mir, allait tomber sur Paris le jour de l’éclipse solaire, le 11 août 1999. Deux mois plus tard, il avait eu l’humilité de présenter ses excuses à ceux qui avaient eu véritablement peur.
La même année, à en croire l’astrologue française Elizabeth Teissier —qui s’était vantée dans le passé d’avoir eu la confiance du président François Mitterand— l’éclipse totale devait entraîner un conflit ouvert entre l’Inde et le Pakistan, la reprise de la guerre au Kosovo, l’implosion révolutionnaire de la Chine, en plus de quelques tremblements de terre et accidents nucléaires. Le Détecteur de rumeurs n’a pas trouvé de trace de ces événements dans les journaux de 1999…