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Détecteur de rumeurs

Non, les véhicules autonomes ne sont pas pour demain

Les articles du Détecteur de rumeurs sont rédigés par des journalistes scientifiques de l'Agence Science-Presse.
Les Fonds de recherche du Québec et le Bureau de coopération interuniversitaire sont partenaires du Détecteur de rumeurs.

Auteur : Agence Science Presse – Maxime Bilodeau

Lire, siroter un café ou même dormir, pendant que notre voiture nous conduit à destination ? Ce scénario de science-fiction a beau être désormais testé par plusieurs compagnies automobiles, il n’est toutefois pas imminent, constate le Détecteur de rumeurs.

Les espoirs des véhicules autonomes

Les véhicules autonomes suscitent de grands espoirs depuis longtemps, mais tout particulièrement dans la dernière décennie. Dans un rapport sur le sujet publié en 2015, le Conference Board du Canada proclamait par exemple comme étant « déjà là » ce qu’il qualifiait de « prochaine technologie de rupture ».

Selon le groupe de réflexion à vocation économique, l’arrivée sur les routes de voitures, camions et autres autobus équipés d’un système de conduite entièrement automatisé et capables de circuler sans intervention humaine, se traduira inévitablement par plusieurs avantages pour la société.

Et il n’est pas le seul à avoir énuméré les mêmes avantages. Le site de l’Association canadienne des automobilistes (CAA) fait miroiter une baisse de 90 % des accidents de la route, en plus de retombées économiques de 65 milliards $ au Canada, gracieuseté de la réduction des embouteillages et de l’amélioration des capacités de déplacement.

Les projets pilotes des constructeurs automobiles sont nombreux à travers le monde. BMW, Audi, Volvo et d’autres étaient tous sur les blocs de départ à un moment ou à un autre des années 2010. Tesla intègre des fonctionnalités « d’assistance à la conduite » dans ses véhicules depuis au moins 2016.

L’incapacité des véhicules autonomes à livrer la marchandise

L’avenir de la conduite entièrement autonome semble cependant plus distant que jamais. En 2020 par exemple, la multinationale Uber —qui souhaitait essentiellement éliminer un de ses principaux coûts, les chauffeurs— s’est départie de sa division consacrée aux véhicules autonomes.

Plus récemment, Ford et Volkswagen ont mis la hache dans Argo, une jeune pousse qui se consacrait au développement de véhicules sans conducteur. « Les véhicules entièrement autonomes sont encore loin et nous ne devrons pas nécessairement créer cette technologie nous-mêmes », a statué le PDG de Ford.

Il faut savoir qu’il existe cinq niveaux lorsqu’on parle de conduite autonome, allant de la simple « aide à la conduite » (ou « assistance au conducteur ») jusqu’à l’automatisation complète. Les niveaux 1, 2 et 3 exigent que le conducteur demeure au volant pour intervenir en cas de besoin. On parle alors de véhicules semi-autonomes, lesquels sont devenus plutôt communs en 2023: freinage d’urgence automatique, régulateur de vitesse dynamique à détection de voie, etc.

Les niveaux 4 et 5, interdits au Québec, correspondent à une automatisation élevée, voire complète du véhicule. C’est en réalité de cela dont on parle quand on rêve à une « voiture autonome ». C’est le Saint-Graal sur lequel travaillent les constructeurs automobiles depuis les années 2010. Il pourrait par exemple s’agir, décrit le CAA dans un document de vulgarisation, de voitures capables de déposer un passager quelque part, puis de se déplacer automatiquement vers une place de stationnement libre.

Elon Musk en promet depuis 2014. Dans une conférence de presse tenue en avril, il réitérait que Tesla atteindrait bientôt cet objectif, mais sans fournir de preuves à cet effet.

« Le véhicule autonome de niveau 5, je pense que c’est une utopie », a affirmé en octobre dernier le directeur général de Renault lors d’une entrevue. « On travaille sur la voiture autonome, mais je n’ai vraiment pas envie d’être le premier constructeur à en mettre une sur le marché. »

Les défis à surmonter

La raison est que plusieurs obstacles restent sur la route.

Au plan technique, ces robots sur roues comptent sur une foule de capteurs, comme des caméras, des radars et des systèmes de détection par laser (lidar). Ensemble, ils nourrissent un algorithme (un « cerveau »), qui prend les décisions. Pour l’instant, les véhicules autonomes ont un assez bon taux de succès dans des environnements relativement simples et prévisibles. Toutefois, le taux d’erreur monte en flèche dès que l’on complexifie l’équation, par exemple dans des conditions hivernales où la neige obstrue partiellement les capteurs, ou la signalisation au sol.

Par ailleurs, le manque de communication entre véhicules autonomes, mais aussi avec les infrastructures sur lesquelles ils circulent, présente aussi une difficulté technique.
Dans les faits, l’intelligence artificielle atteint inévitablement ses limites: il est impossible de penser qu’on puisse l’entraîner avec suffisamment d’exemples pour prévoir tous les scénarios de conduite possibles et imaginables, de manière à atteindre un taux de détection de 100%.

Certes, l’infaillibilité n’est pas non plus le lot des humains. Mais même si les statistiques étaient à l’avantage des robots, interviendrait ici un autre obstacle, de nature psychologique: il semble qu’on juge plus sévèrement une erreur sur 1000 chez une intelligence artificielle que chez un humain. Autrement dit, un piéton blessé ou tué par une intelligence artificielle engendrera davantage de protestations que s’il avait été renversé par un conducteur humain.

Il y a aussi, pour les ingénieurs, une énorme différence entre les niveaux 4 et 5, soit entre un véhicule automatisé, qui peut conduire sur la plupart des routes, et un véhicule autonome, qui doit conduire sur toutes les routes. La transition entre les deux est d’un tout autre ordre que celle entre les autres niveaux, écrivait en 2021 le chercheur australien en mobilité urbaine Hussein Dia. C’est la raison, selon lui, pour laquelle le franchissement de cette dernière étape n’est pas pour tout de suite.

C’est sans compter l’aspect juridique: qui serait responsable d’un décès causé par un véhicule autonome. Le propriétaire de la voiture ? Le vendeur du système de conduite autonome ? Et qu’en est-il si un pirate informatique perturbe le système? Ce n’est qu’une partie des questions juridiques et réglementaires qu’il reste à élucider, et qui pourraient contribuer à rebuter les fabricants.

Interrogé par La Presse en 2020, le directeur du Laboratoire sur l’intelligence véhiculaire de l’Université de Sherbrooke, Denis Gingras, avançait qu’on ne verrait pas de voitures sans conducteurs sur les routes avant « 30 ou 40 ans ».

En attendant toutefois, les projets pilotes de navettes autonomes, celles qui circulent à petite vitesse sur des trajets très bien délimités, se multiplient à travers le monde, y compris à Montréal, et pourraient progressivement préparer le terrain.